Les plans stratégiques nationaux des États membres de l’UE
Sont-ils à la hauteur des enjeux ?
Avec Gérard Choplin
Analyste-rédacteur indépendant sur les politiques agricoles, commerciales et alimentaires
Membre du collectif d’animation de MARS
Séance du 6 décembre 2022
Synthèse par Jean Claude Guesdon
La nouvelle Politique agricole commune de l’Union européenne pour 2023-2027 va s’appliquer au 1er janvier. Elle a laissé aux États membres des marges de manœuvre importantes pour sa mise en œuvre, notamment au travers du Plan Stratégique National (PSN), que chaque État a présenté à la Commission européenne. Cette fin décembre, quelques jours après notre réunion, tous les PSN sont validés.
Exposé de Gérard Choplin
Gérard Choplin, analyste des politiques agricoles basé à Bruxelles, nous a présenté les points forts de ces différents PSN, en particulier les plans de l’Allemagne et des Pays Bas, en les comparant au PSN français, et en s’interrogeant sur leur capacité à répondre aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux auxquels l’agriculture européenne est confrontée.
Des choix différents ont été faits en matière de plafonnement des primes, de paiement redistributif, d’éco-dispositifs, de mesures environnementales, d’investissements, etc. Ces éléments sont clairement présentés dans le diaporama qu’il a réalisé et utilisé dans sa présentation : vous pouvez le télécharger ici.
A l’heure du Green deal de l’UE, de sa déclinaison agricole et agroalimentaire prévue dans la stratégie « de la ferme à la fourchette », de la COP 27 sur le climat, de la COP15 sur la biodiversité et de la guerre en Ukraine, le lobby agro-industriel est à la manœuvre, soulignera notre intervenant, pour freiner la nécessaire transition agroécologique de l’agriculture européenne. Qu’en sera-t-il dans deux ans, lors du premier bilan et de la confrontation entre les objectifs affichés et leur mise en œuvre, en particulier des mesures contenues dans les PSN ? Et au-delà, qu’en sera-t-il sur cette période 2023/2027, de la traduction en directives précises des objectifs affichés dans le Green deal ? Ces questions restent bien évidemment ouvertes.
Dans son exposé introductif, Gérard Choplin est revenu sur le contexte bien particulier de cette « réformette[1] ». Avec un changement de Commission entre les premières propositions (2018) et l’adoption de la réforme en juin 2021. Mais aussi la publication du Pacte vert en décembre 2019 et sa déclinaison « de la ferme à la fourchette » en mai 2020. Puis l’élaboration des PSN par les États membres, et enfin évidemment la guerre en Ukraine.
Tous les PSN n’étaient pas encore validés début décembre (au 6 décembre, il en manquait 3, qui ont été validés depuis) et néanmoins, la réforme va s’appliquer au premier janvier 2023, avec des mises à jour prévues ultérieurement, en particulier pour tenir compte des changements que pourraient impliquer la déclinaison concrète des changements induits par le Pacte Vert.
Si les principaux mécanismes restent les mêmes que dans la PAC antérieure, avec un pilier 1 financé à 100% par le budget UE et un piler 2 cofinancé par les États membres, de nombreux mécanismes de subsidiarité interviennent : certaines mesures étant obligatoires, d’autres facultatives (des facultatives devenant obligatoires et inversement !)
Les Eco-régimes qui au minimum correspondent à 25 % des paiements directs sont la grande innovation. Les paiements redistributifs (plus de soutien aux premiers hectares) sont à 10 % minimum et les paiements couplés sont plafonnés à 13% du premier pilier. Ceci pour ne rappeler que quelques points clefs (voir le diaporama pour plus de précisons).
L’éco conditionnalité est renforcée mais complexifiée et accompagnée de trop nombreuses mesures dérogatoires, notamment en ce qui concerne la rotation des cultures et les surfaces d’intérêt écologique, pour en apprécier pleinement la portée !
L’élargissement de l’éco conditionnalité au champ social, (respect du droit social et du travail de l’État membre), est important mais là-encore, il faudra attendre 2025 pour évaluer la portée de sa mise en œuvre.
Les mesures d’éco régimes sont particulièrement diverses et complexes à appréhender ! Particulièrement en France, avec 3 voies d’accès et 2 niveaux d’ambitions !
Le budget du 2ème pilier est par définition encore plus régionalisé en Europe. La France se distingue par l’importance des moyens accordés aux mesures ICHN (grande constance depuis leur création avec 35 % du deuxième pilier). De même pour ce qui est des moyens accordés à la gestion des risques : une spécialité italienne d’abord (19, 5% du deuxième pilier), puis françaises (12% du deuxième pilier).
La possibilité de transférer une partie du premier pilier sur le second est utilisée surtout en Europe du nord, et celle de transférer du second vers le premier, par certains pays d’Europe centrale et du sud.
Le focus sur l’Allemagne, les Pays-Bas et la France permet de dégager quelques spécificités fortes :
– L’Allemagne pratique un paiement de base uniforme (156 euros par ha), très peu d’aides couplées (mais une nouveauté en Allemagne) et un pilier 2, renforcé par 10% de transfert du pilier 1, qui est très tourné vers des mesures environnementales et climatiques.
– Les Pays-Bas pratiquent un transfert important du pilier 1 sur le pilier 2 et des mesures fortes pour la transition des exploitations (36 % pour les mesures environnementales). Aucune aide couplée, et un accent prononcé sur les éco-régimes et le développement de la bio. L’accent est mis sur la réduction d’azote (50% de moins en 2030) et la fin de la dérogation nitrate nationale en 2026, puis sur le « rachat » (donc la fermeture) des exploitations les plus polluantes.
Résultat de l’analyse du contenu des PSN : de grands écarts dans les niveaux de soutien à l’hectare entre pays et au sein de chaque pays. Des mesures comme la dégressivité du soutien ou celle du plafonnement des aides sont peu usitées, et pas par la France. Dans ce type de mesures, seul le paiement redistributif sur les premiers hectares est utilisé par la France, et à 10 % seulement du premier pilier (à minima, alors que cette mesure avait été portée par la France lors de la précédente réforme) et pour les 52 premiers ha (48 Euros). Le plus haut taux d’ICHN (36 % du pilier 2) restant la marque française. Les aides cumulées à l’installation sont à un niveau significatif.
La complexité de l’éco régime en France est à son paroxysme !
Les points forts des échanges
Une « réformette » pour rien ou des outils nouveaux pouvant conduire à des changements significatifs ?
Derrière une rare complexité et d’énorme possibilités de subsidiarité, la grande innovation de cette réforme est contenue dans la place prise par les mécanismes d’éco-régimes. Plusieurs pays ont fait preuve de grande créativité, mais aussi de complexité en la matière. Par ailleurs, ces mesures sont optionnelles pour l’agriculteur, il est donc bien difficile de prévoir ce qui en résultera sur le terrain et sur la période 2023/2027. Clairement, à ce jour, les éco-régimes ne veulent pas exclure, ils sont au contraire inclusifs et peu contraignants, mais les contraintes pourront évoluer ou non en fonction des rapports de force au sein des États, des pressions sociétales, et de la volonté de contrôle de la Commission : des outils de suivi sont là aussi pour évaluer et éventuellement faire évoluer les mesures applicables.
Par ailleurs il apparait de plus en plus évident que la PAC n’est pas la seule politique susceptible de faire évoluer les pratiques agricoles : les politiques nitrates, pesticides, sol, particules fines, stratégie bas carbone, etc. peuvent aussi contribuer aux changements de pratiques agricoles.
Que vaut encore la distinction entre le pilier 1 et le pilier 2 ?
La différence reste toujours évidemment que le plier 1 est financé à 100 % par l’UE, alors que le pilier 2 est partiellement financé par les États et donc le transfert du 1 vers le 2 est le propre des pays les plus riches, qui de la sorte, mettent plus de moyens en œuvre ! Il peut y avoir effectivement convergence des actions financées par ces pays avec des mesures européennes et des moyens importants peuvent ainsi être focalisés sur certaines mesures : il y a des efforts importants, insuffisants néanmoins, et variables sur les prairies par exemple.
Ne consacre-t-on pas encore ce fameux soutien à l’hectare largement facteur de concentration de l’usage du foncier ?
Oui à l’évidence cette réforme, même si le soutien de base par hectare diminue plus ou moins fortement selon les pays, laisse perdurer une partie trop importante des aides proportionnelles à la surface, ce qui accentue la concentration des exploitations. Les résultats économiques exceptionnels de certaines années, comme ceux des céréaliers en 2021 et 2022, seront encore renforcés par ces aides à l’hectare. Les moyens financiers qui pourraient être consacrés à une meilleure répartition des revenus sont ainsi facteurs d’aggravation des inégalités de revenu.
Des modifications, des adaptations sont théoriquement envisageables sur la période 2023/2027, mais certainement pas la transformation du soutien direct « inutile » en soutien contra cyclique comme aux USA ! Il est à noter que le gouvernement allemand demande l’arrêt de l’aide de base à l’hectare pour la PAC d’après 2027.
La France n’a-t-elle pas manqué d’ambition dans le choix de mesures facultatives permettant le soutien aux agricultures plus familiales et aux pratiques les plus respectueuses de l’environnement ?
A l’évidence, les choix faits de ne pas utiliser le plafonnement du soutien par exploitation, de garder une bonne partie du soutien historique à l’hectare, de ne pas soutenir davantage de manière spécifique les premiers hectares ou l’agriculture biologique, tout en affichant une ambition de doublement des surfaces bio, témoignent du peu d’envie d’encourager la nécessaire transition de l’agriculture française.
Non, la France ne s’est pas positionnée en leader du changement et elle a souvent choisi le minimum légal possible, ainsi du paiement redistributif ou des mesures éco-régime Elle n’a pas choisi non plus la simplicité de la mise en œuvre et du contrôle de ces mesures !
En conséquence, le choc ou le changement, l’impact à système constant ne devrait pas être violent pour la plupart des grandes productions : céréales, lait, élevage à l’exception des activités d’engraissement… un comble dans un secteur ou la France est trop dépendante du reste l’Europe pour le débouché de ses animaux d’élevage et aussi dépendante pour son approvisionnement en animaux engraissés !
Les Pays Bas donnent l’impression de vouloir changer de cap ! Qu’en est-il vraiment ?
Les Pays Bas sont effectivement, plus que les autres pays européens, devant un mur causé par des dizaines d’années d’inaction et de déni des problèmes environnementaux (azote, ammoniac…) et sanitaires (résistance antimicrobienne). Les décisions récentes de leur Conseil d’État et leur opinion publique les forcent aujourd’hui à agir brutalement, laissant un milieu agricole sous le choc.
Cela représente-t-il une véritable rupture dans leur système agro industriel exportateur ? Il y aura de fait une diminution significative de la production animale. Mais le démantèlement du port de Rotterdam n’est pas à l’ordre du jour !
En pleine évolution depuis quelques années, par exemple en production porcine et en viande bovine, avec le naissage et la transformation aux Pays Bas et l’engraissement en Allemagne, le devenir de cette agriculture est vraiment à suivre.
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Beaucoup d’inconnues donc dans cette réforme, peu novatrice, qui s’inscrit dans une survie sans fin de la grande rupture de 1992, elle-même alors inscrite dans un contexte aujourd’hui périmé. La nouvelle PAC est déjà bousculée par le contexte créé par la guerre d’Ukraine, par rapport aux nouveaux enjeux et aux stratégies par ailleurs développées par la Commission. Le tout s’inscrit en matière de politique commune dans un processus européen de décision complexe entre Parlement, Commission et États membres. Un processus lent confronté à des urgences.
[1] Depuis la réforme clef de 1992, c’est la 5e réformette de la PAC, toujours dans la ligne destructrice de 1992.