Alimentation saine et système agroalimentaire

Assurer une alimentation saine
Quelles implications pour le système agroalimentaire ?

Avec Michel Duru

Directeur de recherche, actuellement chargé de mission à l’INRAe, UMR AGIR « Agroécologie, Innovations & Territoires »

Séance du 10 novembre 2022
Synthèse par Michel Rieu

L’avenir de l’agriculture et du système agroalimentaire passe par une rupture de logique, ni en continuité avec le passé, ni par la logique libérale sous l’influence des forces des marché. Face à la raréfaction des ressources naturelles dont les humains peuvent disposer, il est indispensable de faire des choix orientés par la satisfaction de besoins clairement définis.

Le système alimentaire a d’abord pour but d’assurer la vie et la santé par une nourriture suffisante, équilibrée et sans nuisance. Cela n’exclut pas les autres finalités (lutte contre le changement climatique, protection de la biodiversité, usage des terres, effet sur les paysages, etc.). Tout cela est en interaction dans un système complexe.

Si l’objectif alimentaire n’est pas nouveau, il est plus rare de le décliner en orientations opérationnelles pour tout le système alimentaire et agricole, en partant du consommateur et de sa santé pour aller au champ et à son amont.

Agronome de formation, ayant longtemps travaillé sur les systèmes agricoles et leur impact environnemental, Michel Duru a investi fortement sur le lien entre alimentation et santé. L’ensemble de son parcours lui permet donc de suivre ce chemin qui part des besoins humains pour identifier les caractéristiques du système alimentaire qui doit les satisfaire.

Lors de sa présentation à MARS, Michel a illustré son propos par de récentes découvertes en physiologie de l’alimentation humaine, souvent méconnues. Cela lui a permis de caractériser les bons régimes alimentaires et de préconiser de bonnes façons de produire les matières agricoles et de les transformer en aliments.

Intervention de Michel Duru

Télécharger la présentation en cliquant ici.

En tant qu’agronome spécialiste des systèmes d’élevage, Michel a pris conscience il y a une douzaine d’années des effets de l’alimentation des vaches sur la qualité du lait, donc sur les qualités nutritives du lait et finalement du lien entre alimentation et santé. Avec la crise Covid, il a aussi pu voir l’impact de l’alimentation sur le système immunitaire et la sensibilité au Covid.

Il se place dans une logique « One health » en associant santé humaine, santé du système terre et santé des écosystèmes.

La planète compte 1 milliard de personnes sous-nutries, 2 milliards de malnutries. On a simultanément manque de calories dans certaines régions du monde et excès de calories dans les pays occidentaux, associé à une densité nutritionnelle insuffisante et un gaspillage important.

Le constat des problèmes de santé

Les maladies chroniques non transmissibles sont en augmentation (diabète, cancers, cardiovasculaire, obésité…). Les maladies ne touchent pas que les personnes les plus âgées et se développent chez les plus jeunes et tranches intermédiaires. Elles coûtent 90 milliards d’euros par an en France, mais seulement pour moitié en raison du vieillissement de la population.

On parle de maladie déclencheuses (obésité, diabète…) entrainant les maladies finales, dont on meurt (cancers, affections cardio-vasculaires…).

On estime que pour 1 € dépensé pour l’alimentation, il faut presque 1 € pour réparer la nature et la santé, soit environ 0,50 € pour la santé.

Quelle alimentation pour la santé ?

On dispose d’une profusion d’informations, mais le PNNS, Plan National Nutrition et Santé (plan public français), ne prend pas en compte les dernières avancées scientifiques sur la santé humaine et ne tient pas compte de la santé de la planète.

Le consommateur est perdu (PNNS, Nutriscore, labels bio, sans…), et les chercheurs aussi parfois.

Quelques constats sur la consommation de Français par le PNNS :

  • Beaucoup sont en excès de viande rouge, de charcuterie
  • Trop de protéines animales en moyenne (2/3 contre des recommandations à 50/50)
  • ¾ de Français ne mangent pas assez de fruits et légumes
  • 95% pas assez de fibres et omega-3
  • Trop d’aliments ultra transformés : 35% des calories apportées

On estime que seulement 20% des maladies chroniques sont d’origine génétique (ce qui est propre à l’individu), 80% sont dues à l’environnement (ce qui vient de l’extérieur, qualité du milieu, alimentation…).

On est maintenant à même de distinguer les aliments et régime alimentaire-santé, de ceux qui accroissent le risque de maladies. Cela tient principalement à l’état du microbiote intestinal humain, ensemble des microorganismes vivant dans le tube digestif.

La connaissance du microbiote est une révolution dans le monde scientifique. Il est très affecté par ce qu’on mange qui agit sur sa composition. Selon le cas, il peut être une « usine à médicaments » ou une « usine à problèmes ». Côté favorable, le carburant essentiel du microbiote, ce sont les fibres. Les antioxydants et oméga-3 ont un effet anti-inflammatoire.

Côté défavorable : excès d’acides gras saturés et de viande rouge, les résidus de pesticides (qui sont souvent des perturbateurs endocriniens), les édulcorants et émulsifiants contenus dans les produits ultra-transformés.

Ces avancées scientifiques devraient permettre de « piloter » le microbiote intestinal par l’alimentation. Mais dans les pays occidentaux, on va dans le mauvais sens. Il faudrait consommer bien plus de fibres (céréales complètes et légumineuses), manger plus de fruits et légumes, 5 par jours, voire 25 fruits et légumes différents par semaine pour avoir la palette d’anti-oxydants concourant à notre santé. On ne consomme pas assez d’oméga-3, par rapport aux oméga-6. Les produits animaux peuvent apporter des oméga-3 sous condition de leur alimentation.

Le régime occidental est inflammatoire, le régime méditerranéen anti-inflammatoire.

Les aliments ultra-transformés (AUT), faux aliments obtenus par cracking et recomposition ou vrais aliments enrichis en sucre, gras, cosmétiques, conservateurs… représentent une part importante des apports en poids et en énergie. Ça augmente le risque de cancers et autres maladies chroniques. Il y a le problème du repérage des AUT : il y a l’approche NOVA avec des applications comme YUKA ou SIGA. Mais c’est mal connu des Français.

Les pesticides : malgré la protection réglementaire, des effets de perturbateurs endocriniens à faible dose et des effet cocktails. Des produits non toxiques pour les cellules humaines agissent sur les bactéries du microbiote.

Des études montrent aussi l’effet du régime alimentaire sur les risques de développer le Covid et les formes graves de la maladie.

La composition de l’assiette doit changer (voir diapos). Il faut aller vers un régime 3 V : végétal, vrai, varié.

  • Réduire les pesticides
  • Moins mais mieux d’élevage
  • Bonne transformation des produits. Pas d’AUT, par exemple avec les légumineuses.

Le meilleur régime pour se nourrir réduit les émissions de GES et la surface nécessaire, consomme moins d’énergie pour produire. Le PNNS est en retard sur les connaissances. Il faut « révolutionner » la manière de se nourrir et aller au-delà du PNNS.

Conséquences pour l’agriculture ?

Il faut changer la transformation et l’agriculture, changer l’occupation du territoire et changer la façon de faire l’agriculture et l’élevage. Il faut introduire la triple diversité : plantes, paysages, sols. La biodiversité vient d’abord, la technologie ensuite.

Il fait quintupler les surfaces de légumineuses, multiplier par 5 à 10 la consommation de fruits à coque, réduire les céréales et l’export, pour produire plus de fruits et légumes.

Pour réduire l’utilisation des pesticides, il faut changer l’occupation des sols.

L’élevage est à redimensionner (diviser par 2 la consommation), redistribuer sur le territoire, réorienter (élevage multiservice). Élever à l’herbe, donner du lin aux monogastriques (BBC).

Vision holistique

Les efforts à faire pour la santé sont les mêmes que pour la pollution et le climat.

Discussion

Questions : Retrouver la bonne logique de la politique agricole. Qu’est-ce que ça dit des contraintes pour la PAC ?

Réponse MD : On constate le fléau de l’azote, pour lequel les limites planétaires sont largement dépassées. La plus grande partie de l’azote mise sur les cultures est perdue. Gilles Billen, dans son expertise de Farm to Fork, constate que ça va dans le bon sens, mais ça n’est pas à la hauteur de l’objectif que s’est fixé l’UE. Il est essentiel de partir de l’alimentation, car l’espérance de vie baisse, en Europe en bonne santé, dans l’absolu aux USA.

De la production agricole à l’alimentation, ça passe par la transformation qui a un rôle considérable.

La transformation se nourrit de l’agriculture industrielle, donc de la mondialisation, ce qui est favorable à la production d’aliments ultra-transformés. Le Nutriscore contient du bon et du moins bon, moins de sucré, moins de salé, moins de gras, mais ça conduit parfois à des additifs nuisibles qui ne sont pas pris en compte.

Où en est-on de la classification des aliments ultratransformés, très critiquée par les nutritionnistes ?

Les scientifiques INRAe ALIMH et TRANSFORM sont sceptiques. « La transformation, c’est complexe, on ne sait pas faire ». Le pionnier brésilien Carlos Monteiro a établi la classification NOVA, dont la 4ème catégorie, les AUT, fait problème. L’enquête INRAe-INSERM NutriNet-Santé qui utilise cette classification NOVA montre un effet des AUT sur plusieurs maladies chroniques. L’application SIGA croise Nutriscore et NOVA. Il y a convergence entre études épidémiologiques, expérimentales (souris, parfois homme) et mécanistiques au niveau cellulaire, pour les pesticides et les AUT. Les effets passent souvent par le microbiote, ce qui est court-circuité par les analyses de toxicologie, même si à l’INRA, il y a les plus grands spécialistes du microbiote. La recherche reste trop segmentée.

De cet exposé brillant, comment est-ce reçu, à l’INRAe, à l’Académie d’Agriculture, où la section « alimentation » a une position différente ?

À l’INRA, il a été construit un plan stratégique il y a 10 ans pour reconnecter les 3 piliers (agriculture, alimentation, environnement). Mais les chercheurs, comme je l’ai été, ont une vision compartimentée, poussés à ça par la compétition scientifique. Ça laisse peu de temps pour faire des synthèses biblio, mal reconnues. Le métaprogramme SYALSA qui y fait suite constitue un cadre ambitieux, mais le montage du contenu est difficile. Par contre, les citoyens sont très demandeurs à en juger par les demandes de conférence.

L’agroécologie (AE), est-ce une solution ou un discours ? Comment la promouvoir ?

L’agroécologie, c’est la solution, en introduisant la diversité dans les cultures, dans les sols, dans les paysages (3D). Il y a de plus en plus de preuves scientifiques, voir pour cela la synthèse de l’INRAe sur la biodiversité à toutes les échelles. C’est prouvé pour réduire les intrants, mais on en parle peu dans le milieu agricole. Actuellement, le schéma appliqué, c’est « système simplifié + bons produits chimiques ». La solution c’est d’abord la biodiversité, puis les technologies. L’agroécologie est souvent pensée à l’échelle de la parcelle, or l’important, c’est de changer l’occupation des sols pour plus de légumineuses, de fruits à coque, de fruits et légumes. Les déséquilibres géographiques ont été causés par les politiques agricoles et doivent être corrigés par les politiques agricoles… ce qui n’est pas fait.

Comme l’a montré un colloque récent sur la sécurité alimentaire en Méditerranée et en Afrique, des chercheurs du sud se demandent s’il faut passer par la case agroindustrielle ou aller directement vers les modèles agroécologiques ?

Le débat de la sécurité alimentaire est pollué par la guerre en Ukraine. En réduisant l’élevage, en le concentrant sur l’herbe, on a assez de viande pour une alimentation-santé ; cela permettrait de libérer environ 5 millions ha consacrés à la culture pour l’élevage en France. On peut libérer des terres en faisant mieux, pour l’environnement, la santé. On peut se nourrir correctement en réduisant les externalités négatives.

On ressent un déficit d’études économiques pour démontrer la performance économique des modèles agroécologiques ? Y a-t-il des études là-dessus à l’INRAe ?

Il y a des études de cas au Département SAD d’INRAe. Un rapport récent de FranceAgriMer montrait des effets positifs, de même que le réseau RAD SIVAM Lait Grand-ouest pour l’élevage à l’herbe. Pour les fruits et légumes, il y a une forte compétition économique avec l’Espagne. Les collectivités ont un rôle à jouer. Les bassines pour les cultures pour nourrir les cochons, non ! Mais des « mini bassines » pour les légumes, oui !

Y a-t-il des différences d’oméga-3 entre l’ensilage et les prairies pâturées ?

Il y a une grosse différence entre maïs-soja et prairie et peu de différences entre prairie pâturée ou non. Le mieux, c’est la prairie pâturée à base de légumineuses. Pour les tourteaux, le mieux, c’est le colza, le pire le tournesol, le soja étant intermédiaire.

La qualité de l’alimentation joue sur la qualité du lait, chez la femme comme chez la vache. La bonne teneur en oméga-3 du lait a un effet favorable sur le développement de l’enfant. On constate une tendance historique à la détérioration jusqu’au début des années 2000.

Que sait-on des effets des intrants chimiques sur la fertilité humaine ?

La baisse de fertilité mâle est liée aux perturbateurs endocriniens, dont font partie de nombreux pesticides. C’est démontré scientifiquement, par des études mécanistiques chez la souris et des études épidémiologiques.

L’accès à une bonne alimentation se heurte aux circuits de distribution et au pouvoir d’achat limité pour certains. Il y a le problème de la précarité alimentaire. Quelles solutions pour les plus précaires ? Le chèque alimentaire, les épiceries solidaires ? Et pour réduire les AUT, il faut se remettre à cuisiner.

Mais ne peut-on baisser le coût des repas, par exemple avec moins de viandes, plus de légumineuses et moins de gaspillages ? L’association Unplusbio vise à introduire plus de bio dans les cantines. Un réseau peut mettre du lien entre les collectivités. Il faudrait passer à l’échelle européenne et chercher à atteindre le 25% de bio dans les cantines préconisé par la stratégie Farm to Fork, dont on est loin. La Commission veut créer un cadre législatif pour un système alimentaire durable, fin 2023.

Les AUT sont envahissants. Le système cracking + recomposition appauvrit les aliments. Mieux se nourrir demande de l’éducation et de l’apprentissage. Des applications comme SIGA aident à mieux acheter. Il y a des expériences intéressantes dans les cantines scolaires. Réduire la viande réduit les coûts, permettant d’utiliser plus de bons produits (bio) avec moins de gaspillages. Voir les expériences de Mouans-Sartoux (06) ou de Nogaro (32), avec le cuisinier Hugo Dereymez. On peut arriver à faire mieux à coût constant. Mais la question des populations précaires qui ne peuvent pas payer reste posée.

Que peut-on faire pour que les modèles vertueux soient moins minoritaires ? L’argument santé est peu mobilisé. Comment porter ces messages, en faire des outils de transformation du comportement au-delà du discours idéologique ?

La plupart des citoyens ignorent les effets du bio (ou autres modes de production à buts équivalents) sur la santé. La caractérisation officielle d’aliment « sain » (teneur en résidu par molécule) n’est pas adaptée aux connaissances, par exemple les effets sur le microbiote. Il y a maintenant beaucoup de connaissances sur les effets du mode de production sur la qualité des aliments. À partir des connaissances actuelles, il y a beaucoup de changements à faire dans les recommandations.

L’économie, c’est une histoire de chaine de valeur, l’économie aux deux bouts de la chaine, pas seulement du côté agricole. Il faut une politique agroalimentaire qui évolue de l’agricole à l’alimentaire. Mais peut-on faire des évaluations économiques des systèmes agricoles et alimentaires vertueux toutes choses égales par ailleurs ?  Les choix alimentaires ne peuvent pas être arbitrés que par le marché, les bons aliments ne sont pas que des segments de marché. La mauvaise alimentation nuit à la santé des humains et de la planète. Ne peut-on rechercher de nouveaux équilibres en prenant, non seulement sur le budget de la politique agricole, mais aussi sur les dépenses qui servent à réparer les externalités négatives (économies sur la Sécurité sociale…) ? Y compris pour combattre la précarité alimentaire ?

Quatre facteurs augmentent les coûts de réparation de la nature et de la santé : les AUT, les excès d’azote, les excès de pesticides, les excès de consommation de viande. Mais réduire la consommation, c’est réduire l’élevage. Les lobbys s’opposent aux changements, comme aux Pays-Bas face à la volonté politique de le réduire. Les responsables ne sont pas les agriculteurs et les éleveurs individuels. Les lobbys (des pesticides, des engrais, des AUT…) s’opposent aux changements.

En élevage, il ne faut pas seulement faire mieux, mais différemment et beaucoup moins. Il ne s’agit pas d’être contre la viande. Il faudrait revenir aux niveaux de consommation de viande et de laitages des années 60 et tenir compte de certains effets positifs de cette consommation. Même sans prôner le véganisme, c’est insupportable pour la filière élevage. On est dans des impasses techniques par la spécialisation des animaux. Changer les filières demandera 20 ou 30 ans, alors que l’urgence climatique c’est maintenant.

La PAC est en échec total. La dernière réforme est une catastrophe, renforcée par la guerre en Ukraine. La Commission travaille sur l’affichage environnemental des aliments de type Planet-Score.

Construire un indicateur d’impact environnemental en agriculture, c’est compliqué, parce que l’agriculture a des impacts, mais elle rend des services à la société. La recherche évalue mal les services, on est encore dans le qualitatif, avec des difficultés pour passer au quantitatif. On cherche, on est en expérimentation à l’échelle européenne. La France y participe activement. Mais les lobbys sont actifs, car le choix de la méthode n’est pas neutre. Il est important pour orienter les choix alimentaires et agricoles.

Pour aller plus loin

Article du 25 juillet 2022 dans The Conversation :
Agriculture, alimentation, environnement, santé : à quand des politiques enfin cohérentes ?

Article du 27 novembre 2022 dans The Conversation :
Élevage, protéines animales et protéines végétales : ce qu’il faut savoir pour y voir plus clair

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