Les vrais coût du système alimentaire

Les coûts sociaux du système agroalimentaire français

Avec Christophe Alliot, Le Basic

Séance du 18 décembre 2024
Synthèse par Michel Rieu

La présentation de Christophe Alliot

La séance a été introduite par un diaporama qui peut être téléchargé en cliquant ici.

Le Basic (Bureau d’analyse sociétale d’intérêt collectif) a 11 ans d’activités et compte 16 salariés. Il travaille pour beaucoup d’organismes publics à de multiples échelles (collectivités, État, agences, UE, FAO…).

L’étude présentée ici a été commandée par quatre ONG : Secours Catholique, CIVAM, Solidarité Paysans, Fédération française des diabétiques. Elle a pris deux ans.

Son champ d’observation, ça n’est ni les coûts cachés, ni les externalités négatives, mais des dépenses réellement prises en charge par la puissance publique et que l’étude a pu affecter au système alimentaire français.

On se place dans la « couronne de la durabilité. A l’extérieur les limites plantaires définies scientifiquement, à l’intérieur les minima sociaux reconnus par la loi.

L’étude a chiffré les coûts pris en charge par la puissance publique française pour remédier aux impacts négatifs du système alimentaire en croisant différentes bases de données (responsabilité du système alimentaire dans des maladies, dépenses de la sécurité sociale, minima sociaux…).

En 2021, le total s’élevait à 19,1 milliards, dont 11,7 milliards pour la santé des consommateurs.

Les chiffres représentent ce qui est pris en charge, résultant d’un choix politique. Mais pas ce qu’il faudrait, des impacts sont laissés à la charge des personnes : ce qui n’est pas payé par la Sécurité sociale, les maladies professionnelles non reconnues, la précarité alimentaire… ou qui n’est pas pris en charge (les pertes de vies humaines, la dégradation des sols, de la biodiversité, du climat…).

L’étude a aussi chiffré les soutiens financiers publics au système tel qu’il fonctionne. Ils se sont élevés à 48,4 milliards d’euros en 2021, avec pour origines l’UE (21%), les exonérations sociales (26%) et fiscales (18%), l’argent versé par l’État (15%) et les collectivités territoriales (20%).

Ils sont destinés aux agriculteurs (31%), aux transformateurs agroalimentaires (14%), à la distribution (7%), à la restauration et aux consommateurs (39%) au fonctionnement de l’État et à la recherche (9%). A noter, la part destinée à la restauration sociale (cantines scolaires, Ehpad…) financée pour moitié environ par les collectivités.

L’ensemble des dépenses (soutiens, plus correction des impacts) était donc de 67,5 milliards d’euros en 2021, soit 1/15ème de toutes les dépenses publiques.

Si les 19 milliards de « réparation » sont un problème, les 48 milliards de soutien n’en sont pas forcément un. Mutualiser des dépenses, la question étant de savoir si on mutualise toujours bien.

Les forces structurantes du système alimentaire français

Dès les années 60, le système alimentaire français reçoit une double injonction : maximiser les volumes (nourrir le monde) et la valeur (avoir des entreprises champions).

Cela se traduit pour une double orientation :

  • À l’amont, des produits agricoles les plus uniformes. Pour les vendre, les producteurs sont mis en concurrence, dans le monde, mais surtout en Europe et en France,
  • À l’aval, une très grande diversification des produits, offre pléthorique de produits, surtout basée sur le marketing, par l’image de marque, conduisant à une forte consommation de produits gras, sucrés, salés.

Cette dichotomie renvoie à l’organisation du système alimentaire français avec un nombre réduit d’acteurs pesant lourd, principaux industriels, distributeurs, chaines de restauration…

Grâce à son approche originale du fonctionnement des chaines de valeur, le Basic a construit une typologie des filières en types.

Trois types indifférenciés :

  • Les « Premiers prix » : 11% de la valeur finale du système alimentaire, forte pression des acheteurs sur les prix à tous les niveaux. Faibles marges, gros volumes :
  • Les « best seller » : 36% du marché, mais relativement peu de produits, forte concurrence entre distributeurs, forte marge pour les industriels en position de force ;
  • Autres produits de marque et MDD : 45% du marché, rentable pour les distributeurs, parfois pour les industriels, mais pas toujours

Dans tous les cas, les agriculteurs sont sous la pression pour les prix.

Deux types qui privilégient la différenciation :

  • Certaines AOP et filière bio : 5%. Chaque maillon peut poser ses coûts, faire valoir sa différence, obtenir un bon prix.
  • MDD bio, AOP : 3%. Sous initiative des distributeurs, agriculteurs bien rémunérés, industriels sous pression.

Comment augmenter la part des chaines différenciées. Si on revient aux soutiens publics, les chaines indifférenciées en reçoivent 83%, 40 Mrds en 2021, pour des bénéfices nets cumulés de 26 Mrds. Elles sont sous perfusion et dépensent 5,5 Mrds en publicité. Elles ont le plus d’impacts par unité de produit consommé.

Les chaines différenciées reçoivent 6% des soutiens publics, 2,8 Mrds en 2021, pour des bénéfices nets cumulés de 5,5 Mrds. Elles ont moins d’impacts.

Au final, la question n’est pas de contester l’existence de soutiens publics. Elle est de se demander si l’argent public est bien alloué.

La discussion

Les interrogations et la discussion ont porté d’une part sur la méthode, surtout ce qui est inclus dans les calculs et comment on affecte les données quand il faut faire des arbitrages, d’autre part sur la portée et l’intérêt de cette évaluation.

Sur la méthode employée

Les bénéfices des exploitations agricoles ne sont pas inclus, car en agriculture, on identifie les revenus des exploitants (travailleurs non-salariés) qui ne sont pas équivalents aux bénéfices des entreprises, nets de toute charge y compris la rémunération des dirigeants. Les aides PAC sont incluses. Les coûts de transports sont inclus aux différents niveaux (grossistes, industriels, distributeurs).

La valeur de la vie humaine n’est pas prise en compte. Une mort prématurée, c’est des dépenses de santé en moins. Le Basic, dans son rapport, donne aussi des indicateurs non monétaires qui peuvent être aussi qualitatifs (nombre de morts). L’étendue des problèmes ne se juge pas qu’en fonction de l’argent dépensé.

Sur quels critères se fait la séparation entre les différentes filières ? Le Basic utilise la littérature socio-économique sur la fixation des prix, sur les processus par lesquels vendeurs et acheteurs se mettent d’accord sur un prix. Il a aussi fait des études approfondies sur café, cacao et banane (travaux pour la Commission UE et la FAO). Il a appliqué cette approche, mais sans pouvoir entrer dans le détail des différentes filières.

Il n’est pas possible de comparer avec le passé. Par contre pour l’avenir, on pourrait mettre en place un indicateur pour mesurer les conséquences des choix politiques, des changements éventuels d’allocation. Déjà, en peu d’années, on constate l’augmentation rapides des aides.

Il n’y a pas de travaux équivalents dans d’autres pays. Mais le Basic collabore avec l’Université de Louvain (Belgique) et de Lausanne (Suisse) ce qui permettrait des comparaisons.

Sur la portée et l’intérêt de cette évaluation

Des économies que le système alimentaire existant aujourd’hui permet ont-elles été prises en compte : par exemple l’élimination des toxi-infections alimentaires par les réglementations, les pratiques et les contrôles ? Pourquoi additionner les coûts engendrés et les aides publiques qui ne sont pas de même nature ? Il faut insister sur le fait qu’il ne s’agit pas ici d’une analyse coûts-bénéfices. Tous les coûts ne sont pas comptés (exemple des coûts des entreprises). On regarde ce qui est pris en charge par la puissance publique. Ça un sens d’additionner toutes ses formes. Puis on regarde les effets du système sur la durabilité. Cela permet de se demander si on fait un bon usage de l’argent public, quelles que soient ses modalités d’attribution, au regard de la boussole de la durabilité.

Les coûts environnementaux sont sous-estimés. Certains ne sont pas comptés, car on ne fait rien. Ou d’autres sont sous-estimés comme ceux de la pollution et du traitement de l’eau car basés sur une étude ancienne qui n’a pas été actualisée. À défaut de données fournies par l’État sur ce point, le Basic va essayer de travailler avec les collectivités locales. Le chiffre de 1,5 milliard de dépenses directes circule, mais le Basic pense c’est beaucoup plus, x2 ou x3.

Les effets des désordres environnementaux sur la santé ne sont pas comptés. À introduire dans une prochaine version.

En plus des coûts de santé et environnementaux, il y a des coûts économiques, des importations, de la R&D, de l’administration… Sur le diagramme des flux production, importations, exportations, on voit l’importance de ce qui entre en milieu de chaine. On importe plus que ce qu’on produit (une partie est réexportée). Le système est très ouvert.

Sur les stratégies de filière : les labels d’indication géographique, le bio, et le commerce équitable, ça marche, non par les économies d’échelle, mais par la différenciation qualitative du produit. Mais c’est peu. Il semble qu’en France, on a du mal à tenir notre milieu de gamme. D’où viennent nos difficultés ? On met souvent l’accent sur la taille plus réduite des usines (des fermes ?). Pas d’économies d’échelle. Mais n’est-ce pas plus compliqué ? Ce serait intéressant d’étudier un secteur cartes sur table : que sont les coûts, les prix, le marges ? Que pèse le marketing ? Pour ne pas en rester à de vieilles idées générales. A côté du budget pub des grands annonceurs (5,5 milliards), on peut mettre celui du Plan National Nutrition Santé (PNN (50 millions, dont 30 millions pour la communication).

Il y a eu débat sur les évasions fiscales en raison des politiques de compétition entre pays et sur les différences de niveau et de protection sociale, avec des effets très négatifs sur la situation des travailleurs. Les politiques internationales d’entreprises entretiennent la concurrence en leur sein, exemple des groupes laitiers. Jusqu’où peut-on supporter la concurrence au sein de l’UE ? Y a-t-il une prise de conscience des acteurs que ça ne peut plus durer, des possibilités de sursaut ? Les contrats tripartites pourraient permettre de se protéger de la concurrence, avec des règles règlementaires. Une forme de protection pourrait être l’instauration d’une sécurité sociale de l’alimentation avec des règles conventionnelles… qui serait un autre fléchage des dépenses publiques. Aux États-Unis, les programmes d’aide alimentaire comportent de plus en plus de conditions, diététiques par exemple.

La portée de cette étude dans le débat public, comment l’amplifier ? Les ONG qui ont commandé l’étude font des réunions d’information dans leurs réseaux, une quarantaine dans les quartiers, dans les zones rurales, redonner aux citoyens, à la base, le moyen d’en débattre… Le Basic a eu des échanges avec différents ministères, d’élus locaux, des parlementaires, en particulier sur Egalim, et des sollicitations en régions… C’est un enjeu de débat.

La répartition des exonérations fiscales et sociales entre les différents niveaux des filières : le Basic a des données détaillées, fait une base de données, a des contacts avec la Cour des comptes.

Les impôts payés par les agriculteurs : Il y en a (chiffre à vérifier !), mais payer des impôts ne donne pas droit à un retour systématique sous forme d’aides.

Collaborations du Basic : avec l’IDDRI, Solagro, AScA, I4CE… pour construire de la prospective. Se projeter pour un souhaitable et réorienter l’argent pour y arriver.

Pour en savoir plus sur Le Basic et son étude

Site du Basic

Télécharger le rapport de recherche : cliquer ici.

Télécharger la synthèse du rapport : cliquer ici

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