USA : grands élevages laitiers

USA : La course aux très grands élevages laitiers s’accélère
malgré les dégâts avérés

Avec André Pflimlin

Ancien ingénieur à l’Institut de l’Élevage
Auteur de Europe Laitière, valoriser tous les territoires pour construire l’avenir (Éditions France Agricole 2010)

Et Jean-Yves Penn

Ancien éleveur laitier herbager bio en Bretagne

Séance du 10 janvier 2023
Synthèse par Guy Debailleul

En introduction Yves Madeline rappelle qu’André Pflimlin a comme ingénieur à l’Institut de l’Élevage, et même avant et après, une longue histoire de découverte et d’analyse de la réalité laitière aux USA. Son dernier voyage en septembre 2022 en compagnie de Jean-Yves Penn lui a permis de conforter un certain nombre de constats déjà établis dans des voyages précédents.

Présentation d’André Pflimlin

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André Pflimlin indique que sa mission de septembre 2022 s’inscrivait dans une suite d’un séjour de 5 mois à titre personnel puis de missions réalisées dans les années 70 puis en 1987, 2001 et 2007.

Tout d’abord quelques repères : en 2020, le troupeau laitier américain, relativement stable est de 9,3 millions de vaches laitières. La collecte de lait est en augmentation et dépasse 100 millions de tonnes, assurée à hauteur de 60% par les étables de plus de 1 000 vaches, la tranche des étables de plus de 2 000 V.L. affichant la plus forte croissance.

Dès les années 2000, le paysage laitier affichait un net contraste entre la région du nord-est, berceau traditionnel de la production laitière et la Californie. Le Nord-Est dominé par une production familiale autonome en fourrage (1 famille sur 100 ha avec 100 V.L.) alors que la production laitière de l’Ouest et notamment de la Californie est le fait de grands troupeaux en alimentation plus ou moins hors-sol (ferme type : plus de 1 000 V.L., plus de 10 salariés).

En 2007, la production laitière poursuivait sa restructuration avec déjà une certaine délocalisation de la production californienne mais le Wisconsin semblait continuer à illustrer « une autre voie ».

Que peut-on dire, en automne 2022, par rapport à ce constat de 2007 ?

Tout d’abord une relative stagnation de la production californienne avec un mouvement de délocalisation vers les États du Nouveau-Mexique, de l’Arizona, de l’Idaho dans un premier temps, puis du Texas et du Kansas dans un second temps. Ainsi le groupe d’éleveurs de race jersiaise Hilmar, à l’origine d’une des plus grandes fromageries des USA en 1983 en Californie, s’est installé au Texas en 2005, puis au Kansas en 2022, à la faveur d’incitatifs fiscaux importants.

Or ces délocalisations, provoquées entre autres par des problèmes d’accès à l’eau en Californie, se font vers des régions elles-mêmes semi-arides avec des réserves en eau en diminution et des conflits d’usage en augmentation, d’où une survie non garantie. C’est aussi le cas pour de très nombreux feed lots qui ont migré du Corn Belt vers les Grandes Plaines, nettement plus arides.

Inversement, pour le lait, depuis une vingtaine d’années, on assiste à un certain retour de l’élevage laitier dans le Corn Belt avec l’installation de grands troupeaux notamment de la part de nouveaux immigrants hollandais. Ce qui est frappant. c’est d’un côté l’augmentation rapide du nombre de ces élevages (installation de 50 fermes laitières de plus de 1 000 vaches entre 2000 et 2009), la croissance rapide de la taille des troupeaux, le rôle d’une agence néerlandaise de conseils à l’installation et au financement de ces nouveaux arrivants, mais, par ailleurs, la relative fragilité économique de ce nouveau système marqué par des faillites rapides. Leur développement est aussi limité par le coût du foncier, le coût salarial, des contraintes environnementales.

Parmi les développements remarquables, la ferme laitière de Fair Oaks, en Indiana, avec 40 000 V.L. dotée d’un parc d’attraction, véritable Disney Cow recevant 500 000 visiteurs par an.

Quant au système laitier du Wisconsin, la filière herbagère a été fortement bousculée par la stratégie de développement des grands troupeaux encouragée par le gouverneur Walker (gouverneur républicain de 2011 à 2019). Cette politique de course au volume provoque une crise dans le secteur laitier à partir de 2016 avec une chute du prix qui frappe durement les entreprises des 2 secteurs, mais surtout celle de la production herbagère et plus particulièrement les élevages de 100 à 200 V.L. Pourtant, plusieurs exemples illustrés par A.P. montrent que le système herbager reste économe et rentable. De plus, il peut s’appuyer sur le dynamisme des fromageries artisanales, sur les marchés paysans, sur le soutien de la recherche. Mais il ne convainc plus face au développement des très gros troupeaux ! Selon A.P. on retrouve là un exemple de verrouillage socio-technique et politique.

En conclusion : Le déclin des grands troupeaux de l’Ouest aride apparaît inéluctable. Qu’en sera-t-il de ceux plus récents du grand Nord-Est qui peinent à bien gérer les énormes quantités de lisier dans des régions à plus forte densité démographique ?

Le maintien de la ferme laitière herbagère familiale à 100 V.L. apparaît conditionné par la valorisation apportée par le bio et les produits fermiers, soit un créneau de niche plus solide mais limité.

André Pflimlin établit un parallèle avec la situation européenne et l’opposition entre le modèle Holstein-maïs–soja et le modèle herbager en espérant que face aux urgences climatiques, le second puisse prévaloir…

Point de vue de Jean-Yves Penn

Jean-Yves Penn, ancien producteur laitier et promoteur du vêlage groupé en Bretagne a accompagné André Pflimlin dans cette mission. Il s’étonne du paradoxe d’un système herbager qui fait la preuve de son efficacité mais se trouve en régression ou de la démesure que représente une ferme comme celle de Fair Oaks. Il s’interroge sur les motivations qui poussent les producteurs à la croissance notamment après avoir entendu à plusieurs reprises certains d’entre eux déclarer « Il faut nourrir les Africains !»[1]

Il est frappé également de voir à quel point le système laitier s’appuie sur la combinaison maïs-soja, sur la main d’œuvre immigrée corvéable à merci, à quel point les modalités fiscales et environnementales varient d’un État à un autre, parfois d’un comté à un autre, renforçant ainsi les phénomènes de délocalisation-relocalisation.

Selon lui, le maintien du système herbager suppose des réseaux, des soutiens qui ne semblent pas figurer comme des objectifs de l’USDA. La course à la croissance semble être une stratégie de la facilité bénéficiant du soutien de l’agro-industrie.

Même s’il existe une demande de produits de qualité, le modèle américain de consommation de masse lui apparaît durablement installé et peu porté à une évolution vers plus de sobriété.

Discussion et échanges

On relève que le discours de vouloir nourrir le monde et notamment l’Afrique est assez proche de celui de la FNSEA.

Plusieurs questions portent sur l’arrivée des nouveaux immigrants producteurs laitiers, leur financement et sur leurs conditions d’accueil. Réponse : le financement est en partie assuré par les banques (Rabobank par exemple). Les « locaux » sont parfois énervés par l’arrivée de ces immigrants et les choses ne se passent pas toujours très bien. Par ailleurs, certaines contraintes de réussite pèsent sur les immigrants. Certains qui choisissent des modèles de développement plus modérés se voient refuser le renouvellement de leur « carte verte »[2]

André Pflimlin remarque que des réalisations comme celle de Fair Oaks ne sont pas non plus très bien perçues localement, mais que l’ouverture de cette mega dairy au grand public a été une stratégie payante.

Sur le financement de cette croissance rapide des fermes laitières, André Pflimlin indique qu’il n’a pas vraiment creusé cet aspect. Il pense que cette croissance n’est pas financée par l’industrie elle-même mais plutôt par le système bancaire local.

Quant au foncier, il est aussi onéreux qu’en France, de l’ordre de 5 000 à 6 000 US$ l’hectare pour les bonnes terres. Mais il y a la possibilité de louer des terres. Quant aux prix du lait, ils ne sont pas très différents de ceux observés en Europe. En cas de baisse, il existe une garantie de marge sur coût alimentaire, mais dont la revalorisation n’a été sensible qu’à partir de 2019, après trois ans de crise.

Au Wisconsin, alors que durant la période 1990-2010, on avait développé le système herbager (qui représentait jusqu’à 25 % de la collecte avec 2% de bio), l’arrivée des grands élevages a découragé de très nombreux petits et moyens producteurs y compris parmi les herbagers. Car alors qu’il y a un label viande à l’herbe pour l’élevage bovin, il n’y avait pas d’équivalent dans le lait donc pas de plus-value, hormis le bio.

Plusieurs commentaires portent sur la relative fragilité de cette production laitière à grande échelle face aux défis de l’eau et des changements climatiques, sur l’absence d’une approche en termes de filière, sur la correspondance entre ce modèle de production et un modèle de consommation surtout axé sur les produits de base, alors que dans le même temps on observe un développement des fromageries artisanales.

On souhaite également pouvoir revenir, à l’avenir, sur d’autres éléments associés à la production laitière américaine et notamment l’organisation de la filière et la politique laitière.

Un participant suggère de lire le document suivant :
https://www.thebullvine.com/news/small-farms-vanish-every-day-in-americas-dairyland-there-aint-no-future-in-dairy/


[1] On notera à ce sujet que les exportations de produits laitiers à destination du continent africain représentent 3,3 % du total des exportations US de produits laitiers. D’une manière globale, les exportations laitières des USA représentent moins de 10 % du commerce mondial et 40% d’entre elles vont aux partenaires de l’ALENA (Canada-Mexique) (calcul de G.D.pour 2021).

[2] Le visa d’investisseur étranger (Visa EB-05) implique de la part de l’immigrant-investisseur un investissement minimal de 500 000 dollars US et la création dans un délai donné de 10 emplois sur l’entreprise. (G.D.)

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