Sommes-nous en train de changer de modèle ?
Avec François Purseigle
Professeur de sociologie à l’École Nationale Supérieure d’Agronomie de Toulouse
Chercheur associé au Cevipof
Séance du mercredi 13 janvier 2021
Le débat sur les formes institutionnelles de l’activité agricole est un débat classique de l’économie et la sociologie rurale tout au long du 20ème siècle, abordé par de multiples auteurs et acteurs engagés dans le débat social. La question de fond est la suivante : existe-t-il une forme sociale de production spécifique à l’activité agricole, qui la placerait à part d’un modèle institutionnel général, dont le squelette est celui de l’entreprise, issu de l’économie néoclassique ?
Entre absorption incontournable par le capitalisme et vertus de l’exploitation agricole paysanne, le débat est régulièrement reposé directement ou indirectement, comme cela a pu être le cas à propos de l’aventure entrepreneuriale de la ferme des 1000 vaches.
La réflexion portée ici par François Purseigle et ses collègues nous conduit à nous interroger sur la notion de firme (ou de grande entreprise agricole intégrée) en agriculture et ses développements dans le contexte actuel. On constate une assez faible extension en agriculture de l’entreprise organisée sur un modèle industriel et c’est plutôt dans des secteurs spécifiques, maraichage, viticulture, etc. On remarque par contre de manière de plus en plus fréquente des modèles de concentration de l’agriculture avec une organisation complexe ne relevant ni du modèle canonique de l’entreprise, ni du modèle paysan.
Ces modèles d’entreprises complexes, parfois marqués encore par une histoire familiale, ou au contraire directement branchés à des formes sociales plus industrielles et capitalistiques, préfigurent-elles un mode d’organisation, sinon majoritaire, tout au moins suffisamment représenté pour entrainer demain des orientations majeures des politiques agricoles ou alimentaire ? Ces travaux interrogent plus largement la question du capitalisme agricole contemporain. Si l’émergence de grandes entreprises agricoles intégrées emprunte au secteur industriel des formes de rationalisation et de gouvernance inédites (Purseigle et al., 2017), à coté d’elles, émerge une autre facette du capitalisme agricole contemporain, le développement accéléré de la sous-traitance et de la délégation du travail agricole. Comme le soulignent François Purseigle et ses collègues, ce phénomène ne serait-il pas le marqueur de la tertiarisation d’une partie du secteur de la production agricole et de l’émergence de nouveaux réseaux d’exploitations ? La tertiarisation de l’agriculture française ne constituerait-elle pas un mouvement, certes peu visible, mais beaucoup plus profond que celui d’industrialisation des unités de production qu’il étudie par ailleurs ? Ces travaux amènent à le penser. Alors que le phénomène est plus tardif en agriculture, il épouse des contours parfois similaires à ceux observés dans les secteurs industriels et des services. Des chefs d’exploitation délèguent aujourd’hui de plus en plus, pour créer des avantages comparatifs : optimisation des coûts, recentrage sur leur cœur de métier, accès à de nouvelles pratiques et compétences, etc.
Ce sont ces deux dynamiques en émergence, ou qui se renforcent, que François Purseigle a proposé à notre discussion à la séance de Mars du 13 janvier.
Il n’est pas inutile en toile de fond, pour ceux qui le souhaitent, de se référer à l’ouvrage publié en 2017, avec G.Nguyen et P.Blanc, Le nouveau capitalisme agricole. De la ferme à la firme, édité aux Presses de sciences politiques, et dont une note de lecture a été réalisée pour la revue Nature Sciences et Sociétés (27, 2, 243-261 (2019) par Jean Pluvinage.
Cette intervention s’est également appuyée sur l’article intitulé Sous-traitance et délégation du travail : marqueurs des mutations de l’organisation de la production agricole, publié dans Notes et études socio-économiques, Ministère de l’Agriculture, numéro 47, Juillet 2020 pp. 43-88.