Crise agricole, les angles morts des réponses politiques
Avec Dominique Potier
Député de Meurthe-et-Moselle, agriculteur en retraite
Séance du mardi 4 février 2025
Synthèse par Jean-Claude Guesdon
La présentation de Dominique Potier
Dominique Potier est élu depuis 2012. En introduction, il souligne « l’effet lampadaire », notamment dans le milieu agricole, du dossier des « normes », alors que bien d’autres dossiers sont extrêmement préoccupants et mobilisent actuellement son attention, comme les atteintes à l’environnement par les multinationales, et la défense des droits humains. On assiste à une sorte de « trumpisation » de la vie politique française et européenne déplore-t-il.
Le travail qu’il a réalisé sur les angles morts des réponses politiques à la crise agricole faisait suite au mouvement social, de novembre 2023 au salon de l’agriculture 2024. Il a été consigné dans une note de la fondation Jean Jaurès en février 2024 (Télécharger la note ou voir sur le site de la fondation), dont il repend les conclusions aujourd’hui (et dont nous extrayons plusieurs passages dans ce compte-rendu). Notre intervenant souligne que le mouvement s’inscrit dans un cycle démarré avec la crise ukrainienne et qui libère des forces ultralibérales et conservatrices. Ce mouvement conduit en particulier à la remise en cause de l’agroécologie et des principes de régulation développés sous la gauche.
Seul changement récent qui pourrait représenter un mieux, la perception des dangers du commerce international libéré de toute régulation, et donc peut-être, la perception des enjeux des mesures miroirs à mettre en œuvre.
Mais oui, il faut constater que les normes en général et environnementales en particulier sont devenues le sujet de conversation majeur dans le milieu agricole ! Or, « si tout le monde s’accorde sur l’utilité de rendre plus facile leur application, d’humaniser leur mise en œuvre, de mieux en expliciter la portée…, les mesures de simplification annoncées sont d’un autre ordre et elles auront, pour une part significative d’entre elles, des effets rebonds désastreux pour notre environnement et notre société. Le modèle agricole actuel n’est pas soutenable écologiquement et les désordres écologiques à venir (effondrement de la biodiversité et dérèglement climatique) feront qu’il ne sera plus soutenable économiquement ».
Pour Dominique Potier, les sept angle morts qu’il a de nouveau développés devant nous ne sont pas exhaustifs, mais ils dessinent en creux la nature, à son sens, de ce qui devrait être au cœur des débats.
1. La question foncière
Après plus de 50 ans de gestion de la terre gouvernée par le statut du fermage et autres outils des années 60, la libéralisation du marché est à l’œuvre et accélère l’accaparement et la concentration tant par l’usage que par la propriété. Un hectare sur trois échappe à tout suivi. Il s’en suit une perte de compétitivité du travail et un transfert de la valeur du travail vers le capital.
Les agrandissements démesurés entrainent des changements de production et des simplifications culturales destructrices de la biodiversité, avec un appel renforcé aux produits issus de la pétrochimie. Le tout favorisé par une captation illimité des aides publiques. Un processus qui aboutit à un appauvrissement des sols et des territoires.
Une autre conséquence de cet accaparement du foncier est l’aggravation du déficit de renouvellement des agriculteurs.
2. Le partage de la valeur ajoutée
Sapin 2, EGalim 1,2,3 … : les efforts législatifs se suivent et se ressemblent par leur incapacité à garantir la couverture des coûts de production et une digne rémunération du travail.
La dispersion de l’offre face à la concentration des industries agroalimentaires et à la position oligarchique de la grande distribution se traduit par des rapports de force léonins : la situation de quasi-monopole à l’échelle hexagonale de quelques opérateurs de l’aval qui usent de leur capacité à s’approvisionner à l’échelle mondiale.
Il n’y a pourtant pas de fatalité à ce que la défense du pouvoir d’achat de nos concitoyens se traduise par la destruction d’emplois agricoles et industriels. Un préalable à toute évolution est un minimum de transparence des chaines de valeur au sein des filières afin de mettre en lumière la part réelle des bénéfices en réintégrant l’optimisation fiscale….
3. Les coûts de production amont
Le débat sur les règles économiques qui prévalent en amont dans les secteurs de la chimie, du machinisme, de la génétique, de la pharmacie vétérinaire …, est totalement occulté. La restructuration y est massive. La fiscalité a une forte influence avec 1,3 milliard d’exonération sur l’amont et encourage de fait les surinvestissements, mais dans une opacité totale. L’augmentation des tarifs y est très forte.
La hausse des coûts amont est faiblement contestée par les paysans. Il convient a minima, souligne notre intervenant, de modifier le code rural afin d’étendre les missions de l’observatoire des prix et des marges au secteur amont.
De même, faudrait-il mettre fin à cette passivité à l’égard des mécanismes d’optimisation fiscale au niveau des exploitations qui encouragent un suréquipement structurel dans le machinisme, alors que l’objectif devrait être la recherche d’économie en termes de charges d’exploitation.
4. L’allocation des aides publiques
L’allocation des aides publiques est tout à fait inégale et non redistributive. C’est le cas de la PAC bien sûr, mais aussi de l’ensemble des mesures fiscales.
L’État a la possibilité, en réorientant ces moyens financiers déjà engagés, de pratiquer une tout autre politique : celles qui permettrait l’accompagnement et le développement d’une autre agriculture.
5. Les mécanismes de régulation des marchés
La France utilise très peu les mécanismes de régulation de marché proposés par l’Europe. C’est le cas en matière d’associations d’organisation de producteurs (AOP) qui permettent de rééquilibrer les rapports commerciaux avec l’aval, mais aussi de la faible utilisation des instruments de gestion de marchés tels que les clauses de sauvegarde et le financement du stockage public et privé.
6. Le commerce avec les pays tiers
Le sujet des concurrences déloyales est intéressant et important pour le secteur agricole, dans la mesure ou le tiers des approvisionnements alimentaires fait l’objet d’échanges mondiaux à l’import ou à l’export. Ces échanges doivent être basés sur la réciprocité et la loyauté. Ils doivent s’appuyer sur des valeurs universelles reconnues et scientifiquement établies.
7. L’énergie
La question des énergies amplifie les phénomènes nouveaux. Le tarif de l’énergie n’est pas celui des produits agricoles. Avec l’énergie se pose aussi la question de la privatisation du sol pour des questions qui ne sont pas agricoles et celle, avec les biocarburants, d’une concurrence potentielle avec l’alimentation.
Grosse alerte aussi sur la potabilité de l’eau, de son coût et de sa disponibilité.
Planification territoriale, mutualisation et socialisation des terres concernées : les solutions existent mais leur mise en œuvre dépend d’une vision et d’une volonté politique souligne notre intervenant.
« Dans les années 1950/1960, un tel contrat fut acté par l’alliance éclairée d’une puissance publique et de la société civile incarnée par des hommes d’État comme Edgard Pisani, une révolution technique et sociale transforma notre espace rural. Cette révolution prit appui sur des politiques structurantes comme les lois foncières, le statut des coopératives, un système bancaire et la formation professionnelle. Elles eurent pour effet de mobiliser le meilleur de l’esprit d’entreprise dont le monde paysan a le secret : une alliance inédite de l’innovation et de la solidarité ?
Le contraste est saisissant avec l’absence actuelle d’un récit humaniste porteur d’une possible réconciliation »
Ce que nous retenons des échanges
Perte de compétitivité et renouvellement des générations
La course effrénée à l’agrandissement des surfaces des exploitations et la spécialisation des systèmes de production est un constat partagé, alors même qu’il pose de graves questions, à la fois de compétitivité de notre agriculture et de vie sociale dans nos campagnes. Par contre, l’importance de la ressource en termes de jeunes générations pour assurer la relève du grand nombre de paysans sur le départ, dans l’optique d’un potentiel de production suffisant, fait davantage débat. Pour Dominique Potier, le nombre de candidats à l’installation n’est pas l’unique bonne question à se poser : assurer l’installation sur de micro-exploitations est une chose, installer pour maintenir une agriculture sur des exploitations moyennes (50 /100 ha selon les régions et les systèmes) en est une autre. Il s’agit de trouver une alternative à ce qu’ont pu être les GAEC dans la période passée de modernisation de l’agriculture « familiale ». D’installer dans des systèmes d’avenir, sur de exploitations productives, capables d’approvisionner les circuits industriels, plus long que les circuits de vente directe, mais tournés eux-même vers la qualité et la valeur ajoutée, en vue d’un approvisionnement du monde urbain. Les candidats pour la reprise des nombreuses exploitations moyennes qui se libèrent sont plus difficiles à trouver et les politiques d’accompagnement à mettre en œuvre (régulation du foncier, partage des équipements etc.) sont totalement insuffisantes.
Plusieurs intervenants illustrent la main mise actuelle sur le foncier par un certain nombre de grosses exploitations, y compris sous formes sociétaires, qui agissent sous des formes juridiques qui échappent à tout contrôle et toute visibilité. Le contrôle de l’affectation du foncier, de son accès par les jeunes est plus que jamais une nécessité et une urgence.
L’utilisation des aides publiques
Le manque d’efficacité redistributive des politiques économiques et fiscales est manifeste. Pire, ces politiques dites de soutien et ces politiques fiscales aggravent les inégalités. Comment mieux mesurer, mieux mettre au grand jour cette « fabrique » des inégalités et des injustices ?
D. Potier suggère d’engager plus fortement ce nécessaire éclairage sur les inégalités et la perversité des politiques publiques par la mise en place d’un observatoire économique avec la recherche d’un éclairage sur les 2 enjeux forts que sont les enjeux climatiques et les enjeux renouvellement des générations. Il suggère dans un premier temps la mise en place d’une double mission d’inspection CGAAER/Bercy, ou la mise en place d’une commission parlementaire.
Peut-être n’y a-t-il pas assez de moyens financiers mis en œuvre dans ce secteur, mais il faut d’abord s’intéresser à l’efficacité des moyens importants qui existent actuellement au travers de la PAC et de la fiscalité.
La faiblesse des réponses européennes actuelles aux tentatives de dérégulation
et aux mesures ultralibérales qui s’étendent
Le contexte géopolitique de notre l’économie connait une forme de brutalité renforcée par l’arrivée de Trump. Les négociations internationales sont basées sur le rapport de force et la violence. Ou l’Europe s’aligne, ou elle garde ses valeurs comme fondement de son économie. Bien sûr, nous dit notre intervenant, le positionnement actuel doit être marqué par le refus du recul et de la panique.
Nous disposons à l’échelle de la France de l’ordre de 20 milliards de moyens fiscaux et autres engagés dans le secteur agroalimentaire. En orienter différemment 5 à 10 %, en privilégiant l’exploitation moyenne/ polyvalente/ respectueuse des normes environnementales…, un système basé sur la coopération territoriale, permettrait déjà d’engager les changements indispensables.
De nouvelles formes de « résistance » existent à travers la France. Des expérimentations sont menées dans de nombreuses régions comme le signalent plusieurs intervenants (coopératives d’installation, accueil de NIMA -Non issu du milieu agricole-, création de formes collectives, etc.).
Pour que ces alternatives se développent, il faut les fédérer et les visibiliser comme pilote d’un nouvel horizon pour les agriculteurs.
Pour que ces alternatives se développent, c’est la force de l’État de droit et la fraternité qu’il faut renforcer, souligne notre intervenant.
Sans boussole éthique, l’Europe est perdue. Elle doit se baser sur les valeurs d’universalisme et d’humanisme.