Impacts du changement climatique sur les systèmes de production agricoles
Avec Jérôme Pavie
Responsable du service Fourrages et Pastoralisme de l’Institut de l’Élevage
Séance du 10 octobre 2023
Synthèse par Yves Madeline
Principaux éléments de l’intervention
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Face au changement climatique l’agriculture, l’élevage en particulier, est confrontée à un double défi : atténuer ses émissions et s’adapter aux changements déjà visibles et à venir. L’atténuation des émissions vise à respecter les engagements de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Elle est d’autant plus importante que les émissions de GES de l’agriculture représentent 19 % des émissions globales françaises (dont 14,5 % pour l’élevage) derrière les transports (31 %) mais à égalité avec l’habitat et un peu devant l’Industrie (18 %). Cet aspect est très présent dans le débat public.
L’autre défi, l’impact du changement climatique sur les capacités productives des végétaux et des animaux, ne concerne pas que les agriculteurs, car notre approvisionnement alimentaire et sa localisation sont en jeu. Il est d’ores et déjà perceptible. Ce double défi nécessite donc d’imaginer, dès à présent, les adaptations nécessaires des systèmes de production. Le but de la séance est d’apporter un éclairage sur cet aspect.
Jérôme PAVIE, responsable du service Fourrages et Pastoralisme à Idele, a travaillé sur cette question avec ses collègues et en lien avec les autres instituts techniques, les interprofessions et la recherche au travers de projets. Ceux-ci sont de plus en plus nombreux, même si les premières modélisations pour l’Institut de l’Elevage datent de 2006, et constituent le support de la plupart des travaux actuels.
Dans une première séquence, Jérôme PAVIE a rappelé l’état des connaissances et les constats d’évolution climatiques issus notamment du GIEC permettant de :
- Caractériser la réalité du changement survenu et ses conséquences sur les températures, les précipitations, les disponibilités en eau, ainsi que sa localisation différenciée sur la planète, et son accélération lors des 20 dernières années. Le caractère anthropique est clairement démontré, lié à l’industrialisation et à la consommation d’énergie fossiles émettrices des gaz à effet de serre, quantifiables par pays et par secteurs d’activités.
- Modéliser au travers des scénarios les changements prévisibles à l’échelle du prochain siècle. C’est à partir de 3 de ces modèles que les impacts sur les systèmes agricoles et d’élevage en particulier ont été estimés : scénario tendanciel si on ne fait rien (business as usual), scénario visant à stabiliser les teneurs en équivalent CO2 et un scénario visant à les faire baisser, politiquement très volontariste.
Tendances générales
Les températures s’élèvent globalement à toutes les saisons dans tous les scénarios, avec une augmentation du nombre de jours à températures élevées. D’ores et déjà, on ne connaitra plus le climat de notre jeunesse compte tenu de l’inertie des phénomènes et de la stabilité de certains GES. L’effet sur les précipitations est plus nuancé, même quantité mais répartie différemment dans le temps (plus en hiver et moins en été) et géographiquement (moins au sud). Les plantes vont être soumises à un double effet, augmentation de l’évapotranspiration avec l’élévation des températures et une moindre disponibilité en eau dans de nombreuses régions et/ou à des périodes importantes. Donc un impact amplifié sur les productions végétales, même si un effet positif non négligeable pourra être enregistré sur les rendements (+ 10 % dans un futur proche, +20 % fin 21ème siècle) avec l’augmentation de la teneur en CO2 qui favorise notamment la pousse des graminées.
Les conséquences sur la production de fourrages
La courbe de production des prairies garde à peu près la même forme mais se décale (pic de production anticipée d’environ un mois, passant progressivement de début avril à fin février) avec un niveau plus élevé de pousse de printemps (cf. diapo) avec possibilité de mettre à l’herbe plus tôt si les conditions le permettent. Le trou d’été se creuse plus fortement avec un rebond d’automne qui s’améliore de la même façon quelle que la région française (Cf. Etude Climatlait) et des possibilités de pâturage jusqu’en hiver ; avec les questions de portance que cela peut poser pour exploiter ces pousses précoces et tardives, ainsi que les interrogations sur les possibilités de repousse après le trou d’été si les prairies sont trop dégradées et impactées par les sécheresses estivales. La productivité des prairies peut globalement augmenter mais avec une augmentation de la part de printemps avec les questions de reports (arrêter le pâturage en été ?). Il faudra augmenter la part de fauche au printemps pour assurer à la fois l’affouragement estival quasiment à 100% ainsi que les stocks hivernaux.
La composition des prairies permanentes pose déjà question avec le besoin de sélection d’espèces les plus adaptées pour être plus stables et résister au stress thermique. Il y aura aussi nécessité de diversifier les ressources fourragères avec des dates de récoltes plus étalées pour minimiser les risques face aux aléas climatiques et périodes critiques.
Sans doute y aura-t-il aussi nécessité d’adapter la conduite des troupeaux aux ressources fourragères (date de vêlage, chargement). Le maïs est une culture fourragère qui ne s’en sort pas trop mal mais avec des impacts sur les cycles végétatifs. L’intervalle floraison récolte sera raccourci et avancé ce qui lui permet de résister au stress hydrique d’été, mais ce qui renvoie aussi à des risques sur les conditions de semis et de récolte (la période optimale de récolte se réduira en nombre de jours). On peut penser que la sélection sur les indices du maïs permettra une bonne adaptation.
Il faut noter que le levier le plus fréquemment évoqué par les éleveurs dans quasiment toutes les régions est le recours à l’irrigation avec toutes les questions que cela pose sur la disponibilité de la ressource en eau, l’organisation du stockage et la répartition de son usage.
La luzerne est la culture qui s’en sortira le mieux s’il y a un minimum de réserve en eau (ainsi que la betterave sucrière qui gagne déjà 2% de rendement/an sous l’effet du réchauffement qui permet un allongement du cycle). Le sorgho fourrager peut aussi être une alternative crédible au maïs dans pas mal de régions. D’autres cultures comme les mélanges céréales protéagineux (ensilés ou à grains) ou les dérobées fourragères d’automne offriront des solutions d’adaptation et verront leur place augmenter dans les assolements.
Mais il faut aussi prendre en compte que le changement climatique peut impacter les conditions sanitaires des cultures d’autant plus que les possibilités de gestion phyto se réduisent considérablement.
Ces changements vont impacter différemment les régions du monde. En Europe, l’Europe centrale profitera du réchauffement climatique avec des conditions de productions améliorées pour la prairie et le maïs.
Les conséquences sur les animaux et la conduite des troupeaux
Les animaux vont aussi subir un certain nombre de stress liés à la température avec une augmentation du nombre de jours de stress thermique (t° supérieure à 25 avec un taux d’humidité relative supérieure à 50%), les changements hygrométriques, le vent et le rayonnement plus intense qui pourront se traduire par des impacts zootechniques qui restent à quantifier mais dont certains sont d’ores déjà avérés (baisse de production laitière, santé des mamelles, composition du lait, problème de reproduction, problèmes métaboliques, fatigues, boiteries…).
En production laitière, qui ne dispose pas de possibilités de compensation sur l’année, à la différence des productions allaitantes, les impacts seront plus forts et plus visibles. Il y a aussi des questions autour de la disponibilité en eau, tant pour la consommation des animaux que pour le nettoyage des salles de traite, qui pourrait mettre en cause la production de certaines zones exposées. Pour les industries laitières, mais aussi de la viande, fortes consommatrices en eaux, la question est également posée.
Enfin, on peut craindre qu’avec une élévation des températures, de nouveaux vecteurs parasitaires ou infectieux apparaissent nous exposant à des pathologies pour l’instant réservées aux pays du sud.
Les bâtiments sont d’ores et déjà en reconception avec une inversion des attentes pour supporter les chaleurs estivales plus que le froid hivernal, avec des systèmes d’aération ou de ventilation plus performants. Des brumisateurs et des douches sont également étudiés pour rafraichir les animaux afin d’augmenter les échanges thermiques et mieux lutter contre les pics caniculaires. Enfin, l’ombre est également une source de confort, la haie bocagère et l’agroforesterie sont aussi parfois des solutions.
Les leviers d’adaptation envisageables, de la culture nouvelle à la reconception des systèmes
Jérôme Pavie présente une démarche d’adaptation avec trois gradients d’intensité à mettre en œuvre dans le temps, au fur et à mesure de l’évolution des impacts en intensité. (cf. diaporama). Elle est déjà en partie observée chez certains producteurs.
- Les adaptations annuelles incrémentielles, pour faire face aux aléas actuels : adaptation des dates de semis et de récoltes, choix de variétés, gestion de l’eau, introduction d’une culture nouvelle de soudure…
- Les adaptations systémiques, pour ajuster le système, dans une démarche agroécologique : diversification poussée des cultures et de l’assolement, agroforesterie, adaptation des bâtiments…
- Les adaptations de rupture, pour transformer plus radicalement le système : nouvelles productions, nouveaux usages du sol, migration/relocalisation, adaptation des cycles de productions des animaux, extensification, etc.
Enfin, l’Institut de l’Elevage travaille également une nouvelle voie d’atténuation du réchauffement climatique au travers de l’albédo des couverts qui permet de réduire plus ou moins le réchauffement des sols en fonction des couverts utilisés. Il se trouve que les prairies s’avèrent très efficientes pour atténuer le changement climatique en plus de leur capacité à stocker du carbone, grâce à leur permanence de couvert et leur activité foliaire. Passer d’une parcelle en terre nue à une parcelle totalement en herbe aurait un pouvoir de refroidissement équivalent CO2 à 1 439 kg par ha et par an. La voie de l’adaptation génétique des animaux, plus résilients, est également à explorer.
Il n’y aura pas de solutions passe-partout. Il faudra plus que jamais s’adapter au contexte géo-pédoclimatique et il est très probable que chaque exploitation devra déployer plusieurs leviers d’adaptation simultanément ce qui conduira la plupart des exploitations à des reconceptions de système.
Discussion
Nous avons regroupé et synthétisé les échanges très riches en trois rubriques : les demandes de précisions techniques ou méthodologiques, les impacts différenciés selon les systèmes ou les régions, enfin l’attitude des producteurs et la prise en compte des ces changements à venir.
Demandes de précisions
Comment sont prises en compte les émissions des tourteaux importés ? C’est pris en compte et compté dans les émissions des exploitations de viande et lait qui les utilisent. On a, par exemple, deux coûts carbone du soja avec deux coefficients selon qu’il est issu de déforestation ou non. De même tous les intrants ou les bâtiments ou les machines ont un cout GES comptabilisé dans l’impact des élevages. La consommation d’énergie fossile est comptabilisée pour toutes les consommations, y compris les coûts associés aux constructions des bâtiments, des machines, des phytosanitaires…
Comment se situe le maïs sur l’effet albedo ? Moins bon que la prairie et au niveau des autres grandes cultures annuelles car il n’assure pas une couverture permanente du sol comme la prairie.
Est-ce qu’il y a des expériences de culture d’arbres fourragers (comme le murier en Ardèche pour les chèvres) ? Oui, l’INRAe a répertorié quasiment toutes les valeurs fourragères des arbres. On considère déjà dans le bocage que les vaches laitières consomment parfois 10 % de leur ration en bourgeons, feuilles, tiges… forme de diversification alimentaire naturelle des animaux. Par ailleurs, il y a un programme « Oasis » conduit par l’INRAe à Lusignan sur la conception d’un système « bioclimatique », y sont testées les haies fourragères, notamment de vignes fourragères qui produisent pas mal de biomasse.
Les impacts différenciés selon les systèmes ou régions et les voies d’adaptation
Plusieurs participants ont discuté de l’impact sur les systèmes laitiers de l’ouest de la France. Ils semblent s’en sortir relativement bien au vu des années récentes, notamment grâce au maïs, par rapport à des systèmes viande du Massif-Central basés sur les prairies qui ont été fortement impactées ces dernières années. Globalement les systèmes laitiers s’en tirent mieux en termes d’émission de GES car ils ont la viande en plus du lait et certains s’interrogent pour savoir s’il ne faudrait pas revenir à des races mixtes pour diminuer l’effet GES de la viande. Le maïs s’en tire bien car il valorise bien la chaleur et l’eau (espoir des agriculteurs) et la sélection permet d’adapter assez rapidement les variétés.
Pour un intervenant, dans les régions qu’il parcourt de la Mayenne à la Manche, les rendements fourragers de ces dernières années en maïs et en herbe ont été excellents et ont permis de faire des stocks de sécurité. De ce fait, les systèmes conventionnels avec les prix du lait actuel s’en sortent très bien. Je serais en bio, je ferais du maïs car cela sécurise très bien.
Pour un autre intervenant, pour les systèmes allaitant du Massif-Central, le constat n’est pas aussi optimiste que dans l’ouest laitier et l’adaptation passera sans doute par une concentration de la récolte fourragère sur la période de production pour faire des stocks de sécurité. De plus, si on doit récolter pour deux ans la même année, il faudra peut-être augmenter la surface par vache, donc extensifier.
Jérôme Pavie signale que pour sécuriser les systèmes fourragers face au changement climatique dans l’ouest beaucoup d’éleveurs évoquent le recours à l’irrigation, mais sans trop y croire car les questionnements sur la disponibilité de la ressource et son partage sont assez bien intégrées. Lui-même n’y croit pas. Un témoignage est donné pour indiquer les limites de cette perspective d’utilisation de l’eau et cela concerne aussi les laiteries. Ainsi, en Ille-et-Vilaine l’an dernier, le préfet a imposé moins 25 % d’eau pour les laiteries pour la répartir et faire face aux multiples demandes. De ce fait, Lactalis qui a plusieurs usines en Ille-et-Vilaine a dû déplacer du lait vers la Mayenne par manque d’eau pour le traiter sur place. L’interprofession laitière (CNIEL) s’interroge sur les problèmes éventuels de localisation des laiteries et au maintien de bassins de production par rapport à la disponibilité en eau.
Lorsqu’on sort du contexte français, c’est encore différent. Ici les perspectives pour l’herbe, le maïs, la luzerne, le sorgho ce ne sont pas si catastrophiques. De l’autre côté de l’atlantique, on a déjà vu des déplacements de production. En effet, aux Etats Unis, la production laitière s’est beaucoup développée en zone aride à coup d’irrigation, mais ce n’est plus durable et on observe dès aujourd’hui des déplacements et relocalisations liés entre autres à des pénuries d’eau (10 000 l par ha pour irriguer le maïs et 15 000 l pour la luzerne, soit l’équivalent de la consommation d’une ville de 50 000 habitants pour une ferme de 100 ha).
Pour Jérôme Pavie, en élevage, il faut raisonner adaptations des systèmes sans espérer de l’eau d’irrigation supplémentaire. Il rappelle un certain nombre de constantes dans ces parcours d’adaptation : dans un premier temps, optimiser (réduire les vaches improductives, vêlages plus précoces…) ; assez rapidement on arrive à viser l’autonomie (réduction d’intrants, légumineuses, meilleures gestions des déjections…) ; ensuite rééquilibrer les systèmes fourragers (augmenter la part d’herbe au détriment des cultures) et introduire des linéaires de haies pour stocker du carbone. Mais le maïs gardera sa place même en bio. La prairie aura toute sa place, mais il faudra la gérer différemment et il faudra une diversité de prairies dans les exploitations. En effet, les éleveurs convaincus par la prairie ont parfois des doutes lorsqu’elle s’arrête de produire en été ou lorsqu’elle a des difficultés à repartir en automne. Il va falloir apprendre à la gérer différemment : mise à l’herbe plus tôt, report de stock sur pied et pâturage de foin d’été, pâturage hivernal…
Il faudra peut-être aussi revoir la périodicité de la production laitière pour revenir à des cycles plus en phase avec la production fourragère. De même en système allaitant, la désintensification est une voie de sécurisation (souvent agrandissement), mais on peut aussi revoir les périodes de reproduction pour mieux faire correspondre les besoins mère/veau à la production fourragère.
L’attitude des producteurs et la prise en compte des changements à venir
Des avis assez contrastés sont émis. Il est indiqué des postures visant parfois à minimiser les adaptations demandées à l’agriculture et à ne pas trop anticiper ou à faire confiance à la technologie pour apporter des solutions soit par la génétique animale ou végétale. Cela conduit parfois parfois à des contradictions, ainsi la génétique animale produit des animaux de plus en plus performants, mais les systèmes fourragers peinent à satisfaire leurs besoins. Il faudrait alors changer d’objectifs de sélection pour produire des animaux capables de s’adapter aux disponibilités fourragères à venir.
En élevage, le réchauffement climatique est pris au sérieux par les OPA. En France, on n’est pas en retard pour sa pris en compte, notamment avec le déploiement de l’outil de diagnostic Cap 2R (élaboré par l’Institut de l’Élevage et aujourd’hui étendu à l’ensemble des élevages). Il connait un succès intéressant avec l’impulsion des interprofessions et de la recherche. Jérôme Pavie indique qu’actuellement, 30 000 diagnostics Cap 2R ont été réalisés. Il permet aux éleveurs d’abord de prendre conscience des impacts de leur système de production et de pointer tous les points possibles d’amélioration. En lait, l’avancée est très importante car plus d’un tiers des producteurs sont engagés dans cette démarche.
Yves Madeline a récemment rendu visite à un éleveur laitier du Calvados qui est passé de 0,9 Kg de CO2 par litre de lait à 0,6 Kg par l’application de la plupart des recommandations évoquées au cours de l’exposé. Cela montre que des progrès importants sont possibles et donne des raisons d’espérer. Mais c’est un mouvement qui nécessite du temps, de maintenir les efforts et les amplifier conjointement pour l’atténuation et l’adaptation. Le soutien des politiques publiques devra être plus important. La PAC 2027 devra être à la hauteur des enjeux.