Prix agricoles et inflation alimentaire

Inflation alimentaire
Etat des lieux et débat sur les causes et conséquences

Avec Philippe Chotteau et Lucien Bourgeois

Séance du 7 novembre 2023
Synthèse par Jean-Claude Guesdon

Ce que je retiens des présentations

La présentation de Philippe Chotteau s’appuie sur un diaporama
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Philippe Chotteau s’appuie sur de nombreuses données nationales et internationales qui portent sur l’évolution des prix des matières premières et des produits alimentaires. En cet automne 2023, souligne l’intervenant, nous ne sommes plus au sommet de la crise enregistrée en 2022/2023, mais le refroidissement des cours enregistré ces derniers mois n’est pas non plus un retour à la situation de 2019, et loin de là. Aussi, l’inflation alimentaire redevient un sujet central, en UE et surtout en France, mais encore plus bien évidemment dans les pays pauvres. L’épisode actuel est beaucoup plus long que ceux qui avaient suivi les précédentes flambées des matières premières, en 2008 puis en 2011/2013.

Plusieurs éléments semblent être à l’origine ou peuvent expliquer cette flambée des prix enregistrée depuis 2 ans. Le prix du pétrole encore aujourd’hui autour de 90 $ le baril (alors qu’il oscillait plutôt entre 40 et 70 $ entre 2015 et 2020), a pesé lourd. La hausse est renforcée par la baisse de l’euro vis-à-vis du dollar US, 1 euro valant moins de 1,10 US dollar depuis 2 ans.
Le prix du gaz est stabilisé en Europe, tout particulièrement en France, sous l’effet d’un fort développement d’un approvisionnement en gaz liquéfié en provenance des USA, ce qui, à l’évidence, n’arrange pas le niveau des émissions de carbone. En outre, le différentiel de prix entre l’Europe (qui s’approvisionnait principalement en Russie avant l’invasion de l’Ukraine) et les USA semble s’établir de 1 à 4/5. Ce qui n’a pas atténué mais au contraire renforcé cet impact sur les hausses de prix, c’est la poursuite de la tendance à la hausse des marges des raffineurs. Elles restent considérables à ce jour. Elles ne sont pas redescendues après leur très forte hausse suite à l’invasion de l’Ukraine.

Le commerce mondial, bien rétabli par rapport à la période Covid reste néanmoins atone, ce qui n’est pas étranger au repli du prix du fret. Cet élément de coût aurait pu réduire ou contenir l’inflation générale. Rien de perceptible, sans doute le contexte aura plutôt permis, là encore, un renforcement des marges des géants du commerce international. Au final, la reconnexion des prix de l’énergie et de l’alimentation est donc bien observable depuis 2020.

Pour les éléments constitutifs du coût des produits agricoles, c’est le prix des engrais une fois de plus, qui est le plus réactif à la hausse du prix de l’énergie. Bien sûr celui de l’azote, mais aussi paradoxalement celui des phosphates et du chlorure de potassium. Rien n’est intervenu, rien n’a été mis en place, pour tempérer cette contamination des prix à la hausse. L’indice des prix agricoles, déflaté sur longue période, le prix de l’énergie, des aliments et des engrais, évoluent de manières étroitement liées, mais les hausses de 2020 sont inférieures à la flambée de 2008 et surtout à celles résultants du 1er choc pétrolier de 1974 ! Néanmoins, l’inflation, ainsi créée ces deux dernières années, semble plus durable. Au sein des matières agricoles, on retrouve régulièrement une hiérarchie des variations avec des amplitudes de hausses et de baisses plus importantes pour les productions végétales que pour les productions animales. Toutes ces filières ont contribué néanmoins à la flambée des prix de 2022/2023. Ces évolutions n’ont pas été favorables aux productions ni aux consommations de qualité : la part des AOC et bio a connu un repli. Seule la réduction de l’écart de prix entre tourteaux sans OGM et tourteaux conventionnels peut apparaitre comme un élément pour une possible embellie.

Le « soufflé inflationniste » reste loin d’être retombé souligne Philippe Chotteau, et de grandes incertitudes demeurent quant à l’avenir : l’effet inflationniste d’un possible nouveau El Nino est par exemple fortement redouté par certains prévisionnistes.
L’importance de l’inflation que nous avons connue peut être plus finement analysée à partir de sources statistiques moins globales. Alors on voit aussi combien les évolutions sont bien différentes entre l’Allemagne et la France par exemple : les évolutions de prix et les répercutions d’évolution sur les matières premières sont, à la hausse comme à la baisse, moins réactives, plus étalées dans le temps en France qu’en Allemagne. En outre, les baisses des prix agricoles restent bien moins répercutées dans les prix à la consommation en France. Par exemple, les baisses des prix du lait ont été rapidement répercutées par les transformateurs français dans leurs vente à d’autres industriels (biscuiterie, crème glacée, boissons…), mais beaucoup moins dans les ventes à la grande distribution ou à la restauration, où les produits sont certes différents.
Notre intervenant souligne que cette fois, ces hausses de prix ont aussi concerné les prix payés aux producteurs agricoles. Ils ont en général progressé plus que les prix à la consommation et ces hausses ne sont pas étrangères à l’amélioration du revenu agricole intervenu de manière générale ces 3 dernières années.

La comparaison France / autres pays de l’OCDE, montre que cette inflation alimentaire est intervenue en France de manière retardée : en 2022, elle était encore réduite alors qu’elle galopait ailleurs. Mais la situation est inversée en 2023 : l’inflation alimentaire reste forte dans notre pays et pose un problème social. Pas surprenant, alors que l’on constate que la consommation alimentaire a tendance à se réduire, en particulier par le biais d’une descente en gamme, notamment dans les milieux les plus populaires (dernier quintile), là où l’alimentation représente, avec le logement et les transports, la plus grande partie des dépenses.

Une observation importantes encore dans cet examen des données concernant la période post COVID : les IAA en France ont plus que répercuté les hausses du coût de l’énergie qu’elles ont subies (source CEPII). Les marges des IAA en France, après avoir plongé en 2021, ont très fortement rebondi à partir de la mi-2022, tout comme sont à la hausse les profits unitaires dégagés par les entreprises.

Lucien Bourgeois, dans son éclairage complémentaire, revient en particulier sur la question du marché des céréales avec ses caractéristiques quelque peu paradoxales, lui semble-t-il.4
Depuis 10 ans, on observe une hausse continue de la production mondiale des céréales, plus rapide que la hausse de la population et, d’après les prévisions du Conseil international des céréales (CIC), on atteindrait un nouveau record historique pour la campagne en cours.
Si à la production de céréales on ajoute celle de riz et de soja, on atteint 3,2 milliards de tonnes. Cela représente 400 kg par an, et par personne, c’est-à-dire une quantité suffisante pour nourrir un humain pendant une année. Cela étant, la part utilisée directement pour l’alimentation humaine n’est plus majoritaire. Près de la moitié de cette production est désormais utilisée pour nourrir les animaux et environ 12% pour la production industrielle, telle celle de l’éthanol. Et au final , malgré les accidents climatiques, les variations interannuelles ne dépassent pas 2 à 3 %.
La forte hausse des prix de 2021/22 s’est produite alors que la production de céréales avait battu tous les records antérieurs. Ce n’est donc pas une question de disponibilités et ce n’est pas non plus récemment une question de coût du fret (voir intervention de Ph. Chotteau).

Une organisation du marché autre aurait pu être envisagée. Elle était à portée de main d’une volonté politique… qui n’existe pas !
Les trois grandes puissances mondiales que sont la Chine, les USA et l’UE assurent en effet la moitié de la production mondiale de céréales et 45 % du total céréales, riz et soja. La Chine et les USA font jeu égal avec 18 à 19 % de la production mondiale, l’UE 8 % et la Russie 4 %. La Chine détient il est vrai environ la moitié des stocks mondiaux, et la régulation planétaire n’est pas son problème. Par ailleurs les USA utilisent 168 Mt de céréales pour la fabrication d’éthanol soit 38 % de leur production. La Chine en utilise 90 Mt soit 20 % de sa production et l’UE 30 Mt soit 12 % de sa production. Autant de choix techniques et politiques qui contribuent à la tension sur les prix et à leur indexation sur ceux du pétrole. (Voir graphique topo Philippe Chotteau).

Ce que souligne Lucien Bourgeois, en analysant ces données, c’est que les trois grandes puissances ont laissé s’établir ces hausses de prix, alors qu’elles avaient les moyens de réguler les marchés. Ces comportements se sont traduits par un coût énorme pour les consommateurs, notamment dans les pays pauvres. Des études de l’OCDE ou de la Banque mondiale devraient cerner la dimension de cette non intervention. Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que depuis la réforme de la PAC en 1992, les prix agricoles à la production, certes très volatiles, se maintiennent avec une tendance haussière. Certes la revalorisation des revenus agricoles par les prix était souhaitable, mais leur envolée n’est pas nécessairement vertueuse en termes d’évolution des structures et des systèmes de production.

Ce que je retiens des débats

Les échanges entre les participants et les intervenants ont particulièrement tourné autour des points suivants :

  • Le rôle attendu d’une politique de régulation des prix  et des revenus par une  gestion des stocks ;
  • Ce que sont les évolutions récentes, un rattrapage ou, au contraire, un changement profond en matière de revenus agricoles (sujet sensible à MARS !) ;
  • La difficulté de distinguer ce qui serait une tendance lourde d’évolution des prix et ce qui n’est que variation erratique ;
  • Percevoir, dans le désordre actuel, ce qui est imputable à des contraintes politiques lourdes liées au libéralisme qui caractérise souvent les grandes organisations internationales type OMC et ce qui est de l’ordre de la subordination ou de l’adhésion de fait des responsables des politiques étatiques et professionnelles aux échelons bien plus proches ;
  • Ce qui serait inéluctable sauf à refaire le monde car résultant de l’impact de contraintes supranationales, et ce qui serait le produit  possible de choix locaux ou nationaux, etc.

Autant de sujets sur lesquels le débat est vif, faute parfois d’être opérationnel !

Ainsi, il a été redit que si l’amélioration des revenus moyens agricoles des dernières années n’est pas contestable, ce constat devrait être enrichi d’une une présentation plus complète de la dispersion de ces revenus. Oui ne pas parler du secteur agricole (ou pas que), mais des agriculteurs, de leur diversité ! Qu’on admette alors peut-être que les revenus décents ne concernent pas non plus que les « quelques gros céréaliers du bassin parisien » ! Et ces hausses devraient être resituées dans la comparaison des évolutions des revenus avec les autres catégories sociales. Il est suggéré de refaire une séance au 1er trimestre 2024, après la publication des résultats 2022 par la Commission des comptes de l’agriculture de la Nation, et en allant plus loin dans l’analyse de la dispersion des revenus.

Des questions ont été posées sur l’impact en France des lois EGALIM sur les revenus agricoles et les prix à la consommation. A la connaissance des intervenants, les études d’impact ne sont pas encore très conclusives, notamment concernant la Loi Egalim 2 mise en place début 2022. Il serait intéressant d’y revenir, dès que nous aurons connaissance de travaux pertinents !

Comme pour le secteur de la production agricole, parler globalement de la situation économique et du comportement des IAA dans la transmission des hausses des coûts est délicat et peu opérationnel si on en reste à une approche et au traitement de données générales et moyennes. C’est encore  un sujet sur lequel on pourra revenir à MARS quand nous en aurons les moyens, car, à l’évidence, la situation n’a pas grand-chose de commun entre les géants agroalimentaires en situation de faire face aux géants de la distribution et les industriels de taille intermédiaire qui ressemblent plus à des sous-traitants de ces GMS, la défense des marges de ces dernières passant de plus en plus par les marques des distributeurs (MDD). Comment imaginer des politiques différenciées pour les multinationales de l’agroalimentaire d’un côté et pour les PME de l’autre ? Tout comme ce qui définirait des situations de monopoles et l’application de certaines règlementations. Et quelle différence avec des situations qui ressemblent à des positions dominantes, échappant aux radars des règles de la concurrence : référence était faite aux 5 grands de la distribution en France !

Des questions comme la nécessaire transition écologique et alimentaire (manifestement en  difficulté et en repli aujourd’hui au plan des politiques nationales et européennes) et son impact sur l’évolution des prix et donc sur leur accessibilité par tous, ont aussi fait l’objet d’échanges : s’il faut dégager un élément positif à la suite de ces exposés c’est peut-être l’espoir que les changements nécessaires dans les modes de production, pourraient décrocher, déconnecter un peu le coût de production de cette inflation tendancielle du prix de l’énergie ?

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En conclusion, il n’est pas simple évidemment de répondre à la question posée en creux derrière notre séance du jour : qui s’avère plutôt victime ou à qui profite de cette nouvelle crise inflationniste engagée depuis 2022 ? Les consommateurs aux revenus les plus modestes semblent évidemment les plus affaiblis par ce contexte. Et s’il faut se méfier d’une mise à l’index facile et globale de tel ou tel secteur économique, force est de remarquer que les maillons correspondant à la production d’énergie fossile, du commerce international … et des IAA dominantes (les transnationales) n’ont pas souffert de cette crise, mais au contraire qu’ils ont surfé, voire soufflé sur cette vague pour renforcer leurs profits. Des évolutions qui ne nous rapprochent pas de la nécessaire transition énergétique et alimentaire !

Et que dire de cette absence de volonté de régulation publique des marchés, lorsqu’il s’agit comme pour le secteur céréalier d’outils de régulation et d’objectifs portés dès le départ par l’Union européenne : assurer pour des productions où nous sommes autosuffisants et excédentaires comme les céréales, à la fois le revenu des producteurs agricoles et des prix décents aux consommateurs.

Jean Claude Guesdon
Le 11 novembre 2023

Site CIC : Pour suivre l’actualité de ces marchés voir le site du CIC actualisé 10 fois par an. Cliquer ici.

Site Agrobiosciences : Lucien Bourgeois : Prix agricoles mondiaux : Les aberrations de la PAC. Cliquer ici.

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