Concurrence inégale dans l’UE ?

Concurrence inégale à l’intérieur du Marché unique européen ?
L’exemple du secteur des fruits & légumes

Avec Tomas Garcia Azcarate
Centre des sciences humaines et sociales (Madrid),
ancien fonctionnaire de la DG AGRI (Commission européenne),
membre de l’Académie d’agriculture de France

Séance du mercredi 22 mai 2024
Synthèse par Gérard Choplin

Présentation de Tomas Garcia Azcarate

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Y a-t-il des distorsions de concurrence dans le marché européen des fruits & légumes ?

Pour Tomas Garcia Azcarate, ancien fonctionnaire à la DG AGRI de la Commission européenne, il s’agit surtout d’un malaise français, qu’on ne retrouve pas dans d’autres pays de l’UE, et auquel la France répond mal.

Est-ce que les grandes différences entre États membres impliquent des distorsions de concurrence ?

  • Les niveaux des aides PAC à l’hectare (niveau supérieur en France par rapport à l’Espagne ou l’Europe centrale sans que les céréaliers français parlent de distorsion de concurrence),
  • les salaires (de 1 à 6 entre la Bulgarie et le Luxembourg)) ,
  • les aides d’État (dont l’UE a augmenté le plafond),
  • les autorisations de produits phytosanitaires (la France est plus vigilante) ,
  • l’interprétation des règles de concurrence
  • la fiscalité agricole,
  • le prix des terres,
  • différences dans amont et aval (abattoirs, transport routier, …)

Mais ces différences ne provoquent pas de distorsions suffisantes pour mettre en danger le Marché unique. Nous avons besoin d’une politique agricole et alimentaire commune : 27 politiques nationales = + cher et distorsions de concurrence.

Il y a un vrai malaise français, au-delà des fruits &légumes. La France a raté le tournant de la réforme Mac Sharry, de la fin des quotas laitiers et de la nouvelle OCM F&L, et ses « plans de campagne » F&L (1992-2202) ont été retoqués. Contraste avec le calme aux Pays-Bas, Espagne, Pologne.

La France a une politique défensive avec sa campagne nationaliste « qualité France », qui augmente la méfiance du consommateur, diminue la consommation de F&L et met en doute le message santé. Dire que les F&L des autres Etats membres ont plus de pesticides y contribue : erreur stratégique.

Que faire ?

Distinguer le Label France des produits locaux/frais/circuits courts : un produit local à Lille peut être belge. La distance en F&L est un élément clé de la saveur.

  • Promouvoir les circuits courts, de saveur,
  • Renforcer l’organisation des producteurs,
  • Assurer le respect des règles actuelles (contrôle des résidus, des protocoles sanitaires à l’importation dans l’UE…),
  • Utiliser le programme UE de fruits à l’école (France très peu active),
  • Problème des produits orphelins (produits phytosanitaires homologués selon les pays pour certaines productions et pas pour d’autres productions trop peu importantes pour financer l’homologation), sans problème de santé,
  • Limiter les autorisations exceptionnelles de produits phytosanitaires, qui empêche de mettre en œuvre de clauses miroir vis-à-vis d’importations de pays tiers,
  • Limiter la surrèglementation nationale : la France est sur la bonne voie

Construire l’Europe des producteurs

  • Consolider l’exception au droit de la concurrence reconnu pour les OP commerciales et les associations d’OP, notamment pour l’ajustement de l’offre à la demande en quantité et en qualité,
  • Imaginer des associations d’OP européennes pour ajuster au niveau européen et éviter des tensions entre États membres,
  • Créer des associations européennes d’interprofessions,

Pour cela il faut plus d’Europe et avancer vers l’harmonisation sociale et fiscale par le haut. Plus l’UE est large, plus c’est difficile. Donc voter le 9 juin pour des listes qui veulent construire et pas détruire.

Débat

Un exemple concret de différence de coût de production entre France et Espagne ?

TGA : la différence n’est pas dans le coût de la main-d’œuvre (le salaire minimum a augmenté de 40% en Espagne) mais dans un changement structurel très profond de l’Espagne : les grandes exploitations avec révolution technologique ont des coûts de production bien plus bas (huile d’olive extra vierge à 0.7-1€/litre) que la majorité des producteurs, petits et moyens (2-2.5€/l). Il y a des producteurs bio avec 200ha de serres.

Le droit du travail est mieux respecté dans les grandes exploitations, avec salariés plus syndiqués, que dans les exploitations familiales.

La France a un changement structurel beaucoup plus lent que l’Espagne.

Pourquoi les Pays-Bas s’en sortent bien ?

TGA :Une serre néerlandaise est 3-4 fois plus productive qu’une serre espagnole ou française. Les Pays-Bas (protestant) ont plus la culture de l’organisation collective et exportent beaucoup de produits importés, donc exportent toute l’année et ont une structure de production de haute technologie, avec des économies d’échelle.

Quid d’une interprofession européenne ?

TGA :L’action conjointe des producteurs européens a marché pour certains produits comme les champignons, l’ail.

Le changement climatique va-t-il changer la carte des productions dans l’UE ?

TGA :

  • L’eau va devenir un facteur limitant en Espagne, malgré son avance dans le domaine de sa gestion.
  • Déplacement vers le nord et vers le haut de productions comme la vigne, les agrumes, l’olivier, l’amandier,
  • Le contraste de température entre jour et nuit est clé pour la qualité organoleptique des fruits (équilibre sucres/acidité). C’est la raison pour laquelle, par exemple, les produits marocains sont plus fades. Le réchauffement climatique réduit ce contraste ; donc opportunité pour la France pour remplacer l’Espagne pour agrumes, olivier, … de qualité.
  • Arrivée de nouvelles maladies

Quel coût de production fait la différence ?

TGA : La mécanisation (bientôt la robotisation) de la récolte diminue beaucoup la main-d’œuvre. La révolution technologique modifie le besoin de MO, et aussi le choix des productions (boom des pistachiers, des amandiers, de la vigne).

Comment rendre compatible cette révolution technologique avec le maintien d’une agriculture familiale ? C’est la question politique de la prochaine PAC.

Plus on est exigeant en matière environnementale et sociale, plus on favorise les grandes exploitations technologiques. Il faut aider l’agriculture familiale à participer de cette technologie.

La robotisation va augmenter l’écart entre France et Espagne ?

TGA : Je le crains. Mais la France doit miser sur les produits frais, de saison, en circuit court, mais cela va à l’encontre des grandes exploitations en France. On va vers un système dual, sans espace désormais pour les exploitations qui seraient au milieu et qui doivent faire le choix entre les deux modèles.

Assurance récolte ?

TGA : L’Espagne est en avance avec des assurances basées sur aides d’État. Mais il faudrait une séance spéciale pour traiter ce sujet.

Peut-on rêver d’interprofessions sur plusieurs pays ?

TGA : On y arrivera, mais cela prendra du temps.

Quid de l’accord sur la fraise entre France et Espagne ?

TGA :Il s’agit d’un accord informel, à la limite du droit de la concurrence, qui canalise les périodes de fin d’exportation de la fraise espagnole et de début de production de la fraise française. A bien fonctionné.

Quelles grandes lignes pour la future PAC ?

TGA : La PAC actuelle va durer jusqu’en 2030. Le budget PAC pourrait au mieux être maintenu. Mais les autres besoins (défense…) risquent de le baisser. Si on ne fait rien, l’agriculture familiale risque de se limiter à des places de niche pour circuits courts de qualité, hormis quelques exceptions comme en Bretagne où l’organisation collective a permis à des exploitations familiales de jouer dans la cour des grands.

Je prévoit que l’on va vers une fusion des 2 piliers avec enveloppes nationales consolidées et cofinancement national.

Le développement des grands élevages dans l’UE, en Ukraine, … va-t-il tuer la production bretonne ?

TGA :Il y a en Bulgarie un énorme projet de poulailler avec fonds UE. Ce genre de projets ne doit pas bénéficier de fonds UE. Sinon distorsion de concurrence et choix politique de tuer la production familiale. Choix de société, aussi pour les paysages et l’environnement.

Plan vert 

TGA : à force de vouloir aller trop vite, on va trop lentement (comme le plan Mansholt). Il a été lancé alors que le chantier de la nouvelle PAC était déjà très avancé. Sans étude de faisabilité, les objectifs du Plan vert ont nourri l’opposition des conservateurs. Les ONG écologistes espagnoles n’ont pas assez appuyé les revendications de revenus des manifestants.

Manque de réflexion globale : pb principal en Espagne = logement, donc peu de pouvoir d’achat pour mieux rémunérer les agriculteurs.

Je suis  pour une politique agricole commune, alimentaire et territoriale (PACALTER)

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