La forte augmentation du revenu agricole
est-elle durable ?
Avec Lucien Bourgeois (1) et Maurice Desriers (2)
Membres du collectif d’animation de MARS
(1) Ancien responsable des études économiques à l’APCA
(2) Ancien responsable du RICA au Ministère de l’agriculture
Séance du 21 mars 2023
Synthèse par Jean-Claude Guesdon
Le débat sur le revenu agricole en 2021 et 2022 a été introduit par Lucien Bourgeois et Maurice Desriers, deux membres du collectif de MARS au long passé professionnel dans le suivi de cette question des revenus agricoles, au titre de leur activité aux Chambres d’Agriculture pour l’un, au Ministère de l’Agriculture pour l’autre.
La présentation des intervenants
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Il faut distinguer le revenu agricole (de l’activité de production) du revenu des agriculteurs (qui peut comprendre d’autres revenus comme des fermages versés par une société d’exploitation dont il est membre à l’agriculteur propriétaire des terres) et du revenu du ménage (les salaires d’un membre, des loyers de biens familiaux…).
Deux grandes méthodes sont mises en œuvre pour approcher le revenu agricole :
- Des sources macro-économiques tirés de la comptabilité nationale
- Des sources micro-économiques : RICA en particulier
Nos intervenants se sont appuyés sur des approches combinées pour établir les constats qu’ils nous livrent.
Alors que les prix agricoles ont très fortement augmenté ces années 2021 et 2022, la tendance pour le revenu était déjà à la hausse depuis les années 2010. En dépit de ces tendances, entre 2017 et 2021, les concours publics à l’agriculture ont augmenté de 2,2 milliards. Les aides calamités et allégement des charges ont augmenté de 1,6 milliard d’euros en 4 ans pour atteindre 5,3 milliards d’€ en 2021. Parmi elles les aides au gazole se chiffrent à 1,2 milliard d’euros en 2021.
En 2022, tous les produits agricoles ont connu de fortes hausses, dont les céréales 42%, les viandes bovines 30%, le lait 36%, le porc 37%, la volaille 44% ; les œufs 88%. En parallèle, on a pu constater une hausse de 14% des prix des produits alimentaires.
La valeur ajoutée brute de la ferme France est ainsi passée de 32 à 43 milliards d’€ et le résultat net par actif agricole non salarié a augmenté de 36 % en valeur réelle en 2022, après la hausse de 28 % en 2021.
La diminution du nombre d’exploitations et d’actifs agricoles continuant, la hausse du revenu moyen en germe depuis 2010, a ainsi doublé en 10 ans en monnaie constante, c’est-à-dire corrigé de l’inflation. Ce n’est plus du rattrapage ou c’est plus que du rattrapage !
Alors que, par le passé la hausse du revenu agricole moyen s’expliquait souvent par la baisse du nombre d’exploitations ou d’actifs (traduisant en fait l’agrandissement des fermes), depuis une dizaine d’année, la masse globale du revenu dégagé par l’activité de production agricole augmente en termes réels et le revenu moyen augmenterait aussi sans diminution du nombre d’actifs.
Cette forte augmentation du revenu agricole des 2 dernières années (2021 et 2022) est imputable aux prix et à la restructuration. Elle est bien évidemment très inégalement répartie et cette forte revalorisation n’annonce évidemment en rien une tendance durable. En revanche, les signes avant-coureurs étaient déjà là les années précédentes. Le contexte exceptionnel de forte revalorisation des prix agricoles en 2021 et surtout en 2022 avec la guerre en Ukraine, en est le facteur explicatif majeur.
Bien entendu, ont développé les intervenants, la forte hausse des charges en limite les répercussions sur le revenu, notamment pour le secteur des productions animales pour qui les hausses des céréales engagées des 2021 et renforcées en 2022, se sont traduites immédiatement par une forte hausse des aliments du bétail et donc des coûts de production. Pour les productions végétales, les hausses du coût de l’énergie et des engrais sont pour l’essentiel des surcoûts à venir. Et ils interviennent sur une part du coût de production beaucoup plus faible qu’en production animale où le surcoût a été immédiat de surcroît.
L’impact de telles hausses de prix des produits sur la valeur ajoutée du secteur et sur le revenu agricole a été brutal et rarement enregistré à ce niveau. Démonstration est faite de l’efficacité des niveaux de prix sur le niveau des revenus moyens ! Cela démontre encore une fois l’inutilité et même l’aspect nuisible du maintien des soutiens publics découplés de la réalité du marché. Reste, évidemment, l’inégalité du partage entre les agriculteurs et les agricultures de ce formidable revenu agricole moyen des deux dernières années.
L’importance du capital investi reste une autre spécificité et une difficulté propre au secteur. Elle rend difficile l’arrivée de nouveaux entrants : 500 000 euros de capital permanent dont 330 000 euros en fonds propre sont en moyenne mis en œuvre pour 277 000 euros de production (équivalent au chiffre d’affaires).
La volatilité des prix et la sensibilité des revenus à ces derniers, tout comme leur grande disparité en fonction des OTEX, mais aussi et surtout en fonction de la taille des exploitations, doit conduire à nuancer ce tableau de la hausse du revenu agricole.
Sans préjuger de la pérennité de ces tendances et sans oublier les fortes disparités de situations entre les productions, ou les difficultés individuelles, les intervenants s’interrogent sur l’absence de communication sur les bons résultats récents de l’agriculture. Les données les plus récentes de comparaison des revenu des agriculteurs avec les autres catégories sociales font état d’une certaine parité. L’examen des principaux indicateurs de pauvreté par catégories professionnelles corrobore ces résultats en montrant que la situation des agriculteurs exploitants est plutôt meilleure que la moyenne des autres catégories socioprofessionnelles. De même que le niveau du patrimoine personnel est particulièrement élevé, y compris par rapport aux artisans.
Ce que j’ai retenu des échanges
Le débat qui a suivi ces interventions a permis aux orateurs d’apporter quelques compléments sur quelques points clefs comme :
- L’Importance de la capitalisation des ménages agricoles : des capitaux bien souvent pas valorisés mais qui situent sociologiquement les paysans de manière bien différentes des salariés. Un capital par ailleurs « grossi », « nourri » par les aides publiques,
- Un débat engagé sur la non rentabilité du capital engagé en agriculture et sur son effet sur le maintien d’une agriculture familiale,
- Le rôle des hausses des prix agricoles dans la flambée des prix à la consommation. L’impact des prix agricoles a été renforcé par la spéculation sur les produits agricoles par les transporteurs et le négoce international.
- La reformulation sur l’importance du revenu agricole ces deux dernières années, y compris déflaté comme dans les chiffres qui ont été commentés. Parmi les limites de l’exercice, l’incapacité à en tirer des conclusions en termes de perspectives, tout comme à préjuger de leur impact sur le niveau des installations dans les années à venir.
- Des échanges, des analyses partagées sur l’aberration et même la nocivité de la poursuite du versement des aides publiques à l’hectare, et des aides à la consommation d’énergie fossile, dans ces conditions de revenu et de nécessaire transition énergétique.
- Un éclairage complémentaire sur l’impact plus modéré sur les systèmes spécialisés en élevage, au travers de résultats économiques tirés du suivi des réseaux Idele/Chambre d’Agriculture/Inosys. Et de l’impact à contre sens sur les productions Bio.
Plusieurs participants à ces échanges ont exprimé des doutes sur la pérennité de cette éclaircie et sur son aspect « rattrapage pour tous ». Mais ces deux questions ne rentraient pas dans la sollicitation formulée auprès des deux intervenants ! En effet, il s’agissait d’une séance plus brève qu’à l’ordinaire pour laisser place à l’AG. La question de la disparité des revenus agricoles devra être approfondie sur la base de la publication prochaine de résultats plus détaillés.
Jean Claude Guesdon (30 mars 2023)