Conférence de Benoît Coquard, sociologue à l’INRAe
Avant d’être sociologue, Benoît Coquard est profondément attaché à sa région, une campagne située dans l’est de la France, souvent qualifiée de « diagonale du vide ». À travers de nombreux exemples et illustrations, il a expliqué comment le vote pour le Rassemblement National (FN puis RN) s’est progressivement enraciné dans ces campagnes traditionnellement de droite, devenues des bastions de l’extrême droite. Il s’agit de zones rurales « productives », où les ouvriers-paysans ont rapidement accédé à la propriété, mais qui sont désormais en déclin démographique ce qui impacte le prix des habitations.
Benoît Coquard a souligné que cette polarisation politique « spatiale » n’est pas spécifique à la France : on observe des dynamiques similaires aux États-Unis, par exemple.
Il a particulièrement insisté sur deux points clés pour comprendre les scores du RN : la recherche de respectabilité et l’absence de leaders d’opinion de gauche. Ces deux éléments sont liés, car en l’absence de leaders d’opinion de gauche, des leaders d’extrême droite gagnent en légitimité en se basant sur leur respectabilité. B. Coquard a aussi souligné la situation économique difficile due à la désindustrialisation : ces campagnes sont désormais en déclin. Le FN/RN était depuis 1995 la 2ème force politique dans ces régions. Lors des trois dernières élections, le RN a fortement progressé parmi les ouvriers et les employés. Dans ce qu’il appelle des « conversations ordinaires », il observe une hégémonie du discours politique d’extrême droite, y compris auprès des cadres, des enseignants…
Sur la question des leaders d’opinion, B. Coquard a rappelé l’importance, autrefois, des syndicalistes impliqués dans les réseaux associatifs et sportifs. Aujourd’hui, ces leaders de gauche ont disparu, et ont été remplacés par des leaders d’extrême-droite. Le RN a réussi à fédérer le vote des des (petits) patrons et des artisans, et celui des ouvriers a en partie suivi. Le mode de vie des premiers étant « enviable » pour les ouvriers, voter « comme le patron » permet d’accéder à une certaine respectabilité. Cela est d’autant plus vrai que les cadres sociaux, tels que les syndicats, ont été affaiblis.
Ces territoires sont marqués par une nostalgie du « c’était mieux avant », renforcée par une solidarité passée. L’extrême droite promet à ses électeurs de ne jamais être « les derniers de cordée », en désignant toujours des populations racisées comme boucs émissaires. Certaines personnes dépendant des aides sociales affirment voter pour un parti qui les méprise et les dénigre même si en réalité, elles vont rarement voter: c’est surtout une stratégie pour ne pas se faire mettre totalement sur la touche.
Evidemment, comme partout, il y a le rouleau compresseur médiatique. Mais il ne suffit pas à lui seul à expliquer l’hégémonie culturelle des idées d’extrême-droite. Dans ce milieu rural, il faut être respectable, et du coté du patronat, surtout quand ils sont les derniers employeurs du secteur et peuvent vite taxer un opposant politique d' »assisté ». En même temps, c’est le système D qui domine car il y a énormément de concurrence entre pairs: il faut être dans les bons réseaux, avoir le bon piston pour trouver un job, le bon médecin, la bonne nounou… Car il n’y a plus ni hôpitaux, ni crèches, ni grandes entreprises. La concurrence avant la solidarité! La majeure partie de l’éducation populaire s’est dissoute.
B.Coquard a évoqué l’idée de militants de gauche « de s’établir » à la campagne, à la manière des maoïstes autrefois. Subsiste des doutes sur la faisabilité de cette approche. Il semble préférable de faire émerger des cadres locaux, véritablement ancrés dans leur lieu de vie et de travail.
Le débat :
Le débat a permis d’élargir la réflexion à d’autres territoires comme le Puy de Dôme, le Bessin, le Finistère, l’Ille-et-Vilaine ou encore l’Orne. L’éloignement des services publics et la dématérialisation jouent un rôle crucial dans la montée du vote RN.
On a également insisté sur l’importance de la conflictualité et du besoin de « grandes gueules de gauche » pour contester l’hégémonie politique de l’extrême droite. L’idéal serait de former des figures dans lesquelles les classes populaires puissent se reconnaître. L’histoire pourrait évoluer vers un nouveau mouvement semblable aux Gilets Jaunes. Ces mouvements, bien que non « purs » idéologiquement, permettent une politisation des individus qui se soulèvent. Il sera essentiel de ne pas les insulter ou les ignorer, comme cela a pu être fait en 2018/19 par beaucoup d’intellectuels de gauche.
Sur la question environnementale, est-ce vraiment un repoussoir pour les populations rurales ? Il est clair que l’écologie politique s’adresse principalement aux fractions les plus embourgeoisées et urbaines de l’électorat de gauche, mais cela ne signifie pas que l’électorat populaire y soit insensible, surtout lorsque leur cadre de vie est en danger. Une écologie de lutte, bien ancrée dans les problématiques quotidiennes, pourrait trouver un écho dans ces territoires.
La question du leadership d’opinion organisé par le RN a également été soulevée. Un paysan retraité du Finistère a, par exemple, évoqué la montée en puissance de la Coordination Rurale, un syndicat proche de l’extrême droite dans le monde agricole.
Benoît Coquard a rappelé que certains députés RN ont pris la tête de luttes pour la sauvegarde d’hôpitaux publics. En même temps, Mathilde Hignet (élue dans la circo de Redon – 35) s’est engagée à fond dans la défense de l’hôital public de la ville, et attribue en particulier à cela sa remontée par rapport au RN entre 2 tours.
Il y a sans doute 2 stratégies complémentaires: à court terme, dans les grandes villes et les quartiers populaires endiguer le RN; à plus long terme reconquérir le rural profond et les communes de moins de 5000 habitants.
Les leaders d’opinion « du quotidien » bénéficient de l’« apport théorique » des figures médiatiques et des grands médias proches de l’extrême droite, qui leur fournissent une base intellectuelle.
Aujourd’hui, il reste difficile de sortir de la personnalisation de la politique.
En conclusion :
Rien n’est perdu : la recherche de respectabilité des habitants du milieu rural passe par l’égalité, une valeur de gauche. Il est donc essentiel d’être fier de nos valeurs et de montrer que cette option politique est désirable et bénéfique pour tous.