L’aide alimentaire de plus en plus sollicitée

L’aide alimentaire en France
Situation, questions posées, analyse des situations en présence

Avec Louis Cantuel
Responsable du pôle institutionnel et stratégique à l’Association Nationale des Restos du Cœur

Séance du 12 septembre 2023
Synthèse par Jean-Claude Guesdon

Ce que nous retenons de la présentation de Louis Cantuel

Cliquez ci pour visionner la présentation sous forme de diaporama

Louis Cantuel a tout d’abord rappelé la façon dont aujourd’hui est définie l’aide alimentaire en France dans le code de l’action sociale : « l’aide alimentaire a pour objet la fourniture de denrées alimentaires aux personnes en situation de vulnérabilité économique et sociale, assortie de la proposition d’un accompagnement ».

Les 4 grandes organisations (Banques alimentaires, Croix Rouge française, Secours Populaire et Restos du Cœur) assurent 90 % de la distribution de cette aide alimentaire offerte à 3 à 4 millions de personnes. Il faut y ajouter en particulier le réseau des épiceries sociales et les Centres Communaux d’Action Sociale (CCAS).

Toutes ces structures dépendent largement de la générosité, dons en nature ou dons financiers, mais aussi d’importants financements européens dans le cadre du Fond social européen. Il s’agissait à l’origine des excédents de production dans le cadre de la PAC, lors de la création du Programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD) à la fin des années 80.

Les Restos du Cœur assurent 35 % de cette distribution alimentaire[1]. Lancés par Coluche en 1985, les Restos ont servi, en 2022, 142 millions de repas à 1,1 million de personnes. Sur les 12 derniers mois, c’est 30 millions de repas qui ont été servis en plus, à 200 000 personnes supplémentaires. Dans un contexte de forte augmentation des prix des produits alimentaires, alors que les Restos achètent sur le marché le 1/3 des produits distribués, il en est résulté un doublement de la valeur des achats hebdomadaires : d’où les nombreuses alertes lancées depuis quelques mois auprès des autorités, avant cet appel plus solennel début septembre 2023.

Les personnes accueillies représentent une population jeune, plus de 50 % ont moins de 25 ans, et les familles monoparentales aux très faibles ressources sont surreprésentées. 60 % des personnes accueillies vivent avec des ressources inférieures à la moitié du seuil de pauvreté, soit environ 550 euros par mois.

La crise Covid et celle de l’inflation alimentaire qui a suivi ont aggravé la solitude et la vulnérabilité des personnes qui étaient déjà en situation de précarité. Il en a découlé une augmentation massive et rapide des personnes accueillies et une augmentation du budget des achats par les Restos. Sans les mesures de freinage décidées récemment et mises en œuvre rapidement, le budget achat des Restos aurait doublé en 2 ans et l’association n’aurait pas survécu longtemps.

A l’évidence, l’aide alimentaire ne permet pas d’assurer un droit à l’alimentation pour tous lequel doit être un objectif vers lequel il faut tendre. A l’opposé, il est absolument faux de laisser entendre que l’aide alimentaire maintiendrait les personnes dans la dépendance et la précarité, ou que cette aide alimentaire ne reposerait que sur des surplus d’un système agroalimentaire aux impacts négatifs.

De nombreuses initiatives se sont développées depuis la crise sanitaire, avec des débats et des expériences locales autour des notions de chèque alimentaire ou de sécurité sociale de l’alimentation, en passant par le développement des épiceries sociales, des jardins partagés ou de proximité, comme les Restos en développent.

Cette idée de sécurité sociale de l’alimentation est intéressante, mais à ce jour encore bien peu précise. Pour les Restos, elle doit faire l’objet de points vigilance :

  • Les mesures d’accompagnement des personnes ne doivent pas être laissées de côté.
  • La liberté de choix des personnes qui seraient bénéficiaires de cette mesure, doit être assurée.
  • Et elle ne pourra jamais se substituer à l’aide alimentaire en cas d’urgence

La question de la faisabilité de la mise en place d’une telle mesure, qui  permettrait comme envisagé, un soutien à hauteur de 150 euros par mois et par personne est évidemment aussi posée !

La priorité des Restos est de respecter le choix des personnes, d’assurer du lien social et de fournir gratuitement une aide alimentaire variée et diversifiée. Le modèle économique actuel, qui repose à la fois sur des dons et sur des achats, est complètement déstabilisé : la partie don qui a largement reposé sur la lutte contre le gaspillage par les GMS est en effet à bout de souffle et doit être repensée.

En conclusion , pour Louis Cantuel, plutôt que d’opposer les modèles, il conviendrait de miser et de valoriser leur complémentarité, de rechercher une forme d’hybridation des modèles et des pratiques et de faire en sorte que les associations d’aide alimentaire deviennent des acteurs de la transition.

La mise en place de conventions avec les AMAP pour favoriser les circuits courts ou le développement des jardins de proximité sont des évolutions qui vont dans ce sens, et les Restos dans leur étude prospective 2035, insistent sur deux priorités qui abordent ces mêmes préoccupations:

  • Intégrer la transition écologique
  • Développer la coopération inter-associations

Ce que nous retenons des débats

Le temps des échanges a été ouvert par le riche témoignage d’un membre de MARS par ailleurs acteur de la solidarité comme responsable d’une épicerie solidaire dans une commune située dans les Alpes-de-Haute-Provence. Les convergences sont nombreuses, concernant les difficultés et les craintes pour le fonctionnement : l’afflux de nouveaux demandeurs, la dégradation des quantités « ramassées » dans les GMS, la pérennité du besoin du soutien dans le temps, pour une bonne moitié des personnes aidées, l’illusion des discours tenus par les responsables politiques comme quoi l’emploi serait la réponse à tout et à tous, le risque d’un effet papillon, les demandeurs d’aides refusés par certaines structures se reportant sur les autres, etc.

Les mêmes questions sont soulevées dans des groupes de réflexion qui ont fonctionné dans des départements de l’Ouest, chacun partageant l’idée que ce qui est important est mal assuré à ce jour, la prévention de la pauvreté.

Un point positif dans cet océan de difficultés : l’impératif, l’urgence… et la possibilité de travailler ensemble entre associations, entre réseaux, et aussi avec des pouvoirs publics au sein des départements. Et le souhait de le faire par une large coopération horizontale, plus que par une mobilisation étatique par les préfets, même si les rouages politiques départementaux y participent !

La question du rôle de la PAC sur la non couverture des besoins alimentaires pour tous a bien évidemment été soulignée. Comment échouer à ce point et durablement ont souligné plusieurs participants, à la fois sur l’objectif d’une politique qui devait permettre à l’Europe de nourrir sa population correctement et à un prix décent, tout en procurant un revenu suffisant aux producteurs ? Ce double échec a souvent été évoqué lors des nombreuses réforme de la PAC, mais les questions alimentaires et sociales n’ont jamais été entendues dans ce cadre qui ne s’intéresse qu’aux préoccupations de production et de commerce international. De fait, est-il souligné, ce n’est pas l’insuffisance de production qui pose un problème mais l’inégalité de répartition de revenu pour accéder aux produits.

Les échanges autour de la question de la sécurité sociale alimentaire montrent à la fois l’intérêt que représenterait un engagement de l’État sur cette question et la nécessité d’approfondir ce que pourrait être un tel mécanisme. Instituer et mettre en œuvre un nouveau droit, ouvrir pour cela une « nouvelle branche de la sécurité sociale » (ou une carte vitale alimentaire), de nombreux participants en voient bien l’intérêt et l’enjeu, mais aussi un certain nombre de risques ou de conditions à remplir autour des points de vigilance que Louis Cantuel exposait dans son introduction, en particulier de l’accompagnement global, des libertés de choix et du lien social tissé par les systèmes existants. Veiller au respect et à la dignité des personnes en situation d’être aidées, prévenir les situations d’exclusion et s’appuyer sur un droit à l’alimentation semble bien être des préoccupations fortes et partagées. Savoir si l’alimentation doit être traitée comme la santé est une question à laquelle il n’a pas été apporté de réponse claire dans ces échanges. Le choix entre une alimentation saine et une alimentation plaisir n’est pas toujours évident, et il n’a pas être fait par d’autres, pas plus pour les personnes en situation précaire que pour les autres !

Ne pas permettre à l’État de se défausser, c’est bien une préoccupation forte des organisations d’aide alimentaire, croire en la capacité des pouvoirs publics, quels qu’ils soient, de tout faire bien ou mieux que le bénévolat est sans doute bien aventureux soulignent certains d’entre nous.


[1] En volume, selon les données du Système d’information de l’aide alimentaire (SIAA)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *