La gestion de l’eau en France
au regard du sixième rapport du GIEC
Avec Jean-Luc Redaud
Ancien directeur de l’agence de l’eau « Adour-Garonne »
et actuel président du groupe eau-climat du « partenariat Français pour l’eau »
Séance du 13 février 2024
Synthèse par Joseph Racapé
La présentation de Jean-Luc Redaud
Elle s’appuyait sur un diaporama à télécharger en cliquant ici. On peut s’y reporter pour étudier les éléments détaillés.
La présentation débutait par un court rappel des négociations climat, des scénarios d’effets climatiques différenciés, selon l’ampleur des changements à venir d’ici la fin du siècle, par zone géographique avec une attention particulière pour la France. Ont ensuite été présentées des mesures de gestion envisagées par le gouvernement français et par le « Partenariat Français pour l’Eau ».
L’intervenant est revenu sur les changements climatiques en cours et leur traitement par la convention climat, en partant des décisions de la COP 21 de Paris en 2015 et du bilan qui en a été effectué à la COP 28 fin 2023. L’objectif de limiter le réchauffement à 2°C voire 1,5°C en 2100 semble bien compromis puisque nous en sommes déjà à environ +1,2°C et par ailleurs, non seulement les émissions ne baissent pas, mais elles continuent à croître. Notons cependant l’ambition réaffirmée à cette dernière COP de maintenir l’objectif de +1,5°C, d’arriver à la neutralité carbone en 2050, de désigner les fossiles comme cause principale d’émissions, soit près de 80% du total et d’atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 dans le secteur agricole.
Les moyens pour parvenir à ce dernier objectif font appel, notamment, aux puits de carbone dans les sols et les forêts. Cependant, les constats les plus récents ont plutôt fait état pour les forêts, y compris les forêts primaires, d’un déficit d’absorption, sous l’effet des sécheresses et de maladies diverses qui donnent un solde global positif d’émissions. La dégradation constatée de la situation climatique qui nous conduit vers un horizon à +3°C, voire +4°C, induit une demande de renforcement des financements climat vers l’adaptation pour les pays en développement : l’eau et l’agriculture sont 2 priorités affichées de ces stratégies.
Ensuite, J.L. Redaud a présenté des données extraites du dernier rapport du GIEC paru en avril 2023. Les simulations présentées font état d’une modification de la circulation atmosphérique de la planète. Dans l’hémisphère nord, le nord est plus humide et le sud plus sec. La France se trouve au point d’intersection des deux zones, entre un nord plus humide avec de fortes précipitations plus fréquentes et plus intenses et un accroissement de la chaleur et des sécheresses dans le sud. Par ailleurs, sur la planète entière, la fonte des glaciers s’accentue de façon irréversible entrainant un réchauffement de l’eau de mer, une élévation de son niveau, et une acidification qui réduit sa capacité d’absorption des gaz à effet de serre.
L’intervenant a ensuite présenté les projections en France dans les domaines du régime des eaux, de la pluviométrie, des vagues de chaleur, des évènements extrêmes, des températures attendues, des recharges des nappes, des manteaux neigeux, etc. Les projections exposées sont issues des travaux de Météo France (Drias 2020) et de OFB-INRAE (Explore 2). Ils ont fait l’objet de publications de scénarios climatiques cartographiés appliqués à la France, sur la base du rapport du GIEC 2023. Trois scénarios ont été retenus en comparaison d’une base climatique 1850-1900 :
- – RCP 2.6 : +0,9 à +2,3°;
- – RCP 4.5 : +1,7 à 3,2°;
- – RCP 8.5 : +3,2 à +5,4
Sans rentrer ici dans le détail de toutes ces cartes, retenons :
– La différence nord-sud pour les températures et est-ouest pour la pluviométrie ;
– Des pluies intenses plus fortes sur l’ensemble du pays (+10% en moyenne et +20% dans les simulations extrêmes) ;
– Les vagues de chaleur sont multipliées par 2 dans le scénario vertueux et par 10 dans le scénario extrême ;
– Les sécheresses estivales sont plus longues de 5 à 10 jours dans le scénario moyen et plus fortes à l’ouest et dans le sud dans le scénario extrême ;
– Les modules (débits moyens) des cours d’eau sont en hausse (20%) dans le nord de la France et en baisse (20%) dans le sud dans le scénario moyen ; une généralisation des débits d’étiages est attendue, forte de 40 à 60% dans le scénario extrême ;
– La réduction saisonnière des débits d’étiages est avancée d’un mois ou deux ;
– Une réduction forte des stocks de neige et des glaciers est attendue sur le Alpes et les Pyrénées
Le plan eau 2023 du gouvernement
– Réduire les prélèvements de 10%. Les prélèvements annuels d’eau douce sont de 4,1 m3 ainsi répartis : usages agricoles 58%, eau potable 26%, refroidissement des centrales électriques 12% et usages industriels 4%. Cette image est toutefois trompeuse : en terme de consommation, les irrigations constituent très largement le phénomène dominant, notamment sur la période d’arrosage qui est celle des étiages de nos rivières. La capacité pour le monde agricole de répondre à l’objectif de baisse des prélèvements est problématique, les changements climatiques vont générer une demande d’accroissement des irrigations et doses d’arrosage. L’objectif affiché dans les SDAGE est que tout nouveau prélèvement agricole devrait faire l’objet de compensation ;
– Le constat d’accroissement des pesticides dans les eaux souterraines, qui de 2010 à 2018 s’est généralisé à toute la partie nord de la France. Par ailleurs, il faut rappeler que 80% des captages superficiels ont été abandonnés depuis les années 1950 car trop pollués. L’objectif de réduction des pollutions diffuses et cependant réaffirmé ;
– Réduire les pertes, valoriser les eaux non conventionnelles, améliorer et développer le stockage dans les sols, les nappes et au moyen d’ouvrages.
Les préconisations du Partenariat Français pour l’Eau
– Maitriser la demande en eau par recyclage et lutte contre les fuites ;
– Préserver l’eau dans les sols en facilitant sa percolation, ce qui veut dire une bonne teneur en humus des terres cultivées et le maintien des prairies et des zones humides ;
– Mobiliser de nouvelles ressources. Cela ne peut se faire que par bassin versant avec consultation préalable des différentes parties concernées ;
– Répondre aux défis de la qualité de l’eau ;
– Favoriser une gouvernance et l’acceptabilité sociale par l’amélioration des connaissances en matière de mesures, de systèmes d’alertes, d’entretien des ouvrages et par la formation et l’information des usagers.
Le Débat
Sur l’accroissement des émissions de méthane, on fait observer qu’elles ne peuvent résulter du cheptel herbivore puisque celui-ci est en baisse. On impute alors cet accroissement aux extractions de gaz de schiste. J.L. Redaud indique alors que les industriels se seraient engagés à la dernière COP à trouver des solutions techniques nouvelles. Certains doutent de cette promesse vu son coût. Autre imputation évoquée, le pergélisol qui se décompose sous l’effet du réchauffement.
Concernant les ouvrages de stockage, outre l’inventaire à faire au préalable de disponibilités non préemptrices des réserves des nappes existantes, il importe de voir à quels usages sont destinées ces eaux. J.L. Redaud, ancien directeur de l’agence de l’eau « Adour-Garonne », répond qu’il a été constamment confronté à des demandes additionnelles d’irrigation de la part de la profession agricole, y compris pour des productions traditionnellement non irriguées (la vigne). Face à ces demandes renouvelées de la profession agricole, les gestionnaires de l’eau doivent toujours s’incliner.
A la question du pourquoi de nos importations massives de fruits et légumes en provenance du Maghreb et d’Espagne, pays de plus en plus déficitaires en eau, on ne peut évoquer que l’avantage économique comparatif résultant du différentiel du prix de la main d’œuvre.
Concernant la gestion de l’eau dans le but de l’économiser, J.L. Redaud signale l’excellence des informations d’alerte de Météo France. Il affirme en outre que l’eau doit demeurer en droit un bien commun, y compris l’eau des bassines et des retenues colinéaires.
Sur le recyclage des boues usées, on fait état des réticences de beaucoup d’agriculteurs, notamment les légumiers et les producteurs de fruits.
Le dessalement de l’eau de mer en vue de fournir de l’eau de consommation est évoqué. Cette technique est maintenant presque systématiquement mise en œuvre pour approvisionner les villes du bassin méditerranéen. Elle est néanmoins coûteuse, gourmande en énergie, émettrice de gaz à effets de serre et de saumures. Elle n’est pas envisagée en France pour la production agricole, mais en débat dans certains pays méditerranéens soumis à de très forts stress hydriques.
Périodicité des périodes d’étiage. Dans les projections présentées, l’accroissement des températures conjugué à une moindre pluviométrie dans le sud de la France va contribuer à réduire le potentiel du « château d’eau » des Pyrénées. De plus la période d’étiage sera avancée rendant ainsi impossible l’irrigation du maïs en juin-juillet. Toujours cet exemple du bassin « Adour Garonne » avec la baisse incessante du niveau de la nappe phréatique de Bordeaux et des Landes et le risque à terme d’une infiltration de l’eau de mer dans celle-ci.
Une réflexion sur l’adaptation des cultures aux changements climatiques qui nous menacent est nécessaire : pour une grande partie de la profession agricole, la création de nouvelles capacités de stockage et le développement de nouvelles irrigations est la solution. C’est une fuite en avant qui risque fort de nous entrainer dans une voie sans issue.
À partir de l’exemple de la Bretagne où on a manqué d’eau en 2022 et où, faute d’anticipation, on a dû instaurer un rationnement brutal (-20 à 25% pour les laiteries), on fait le constat que seules les catastrophes sont capables de faire bouger les politiques, mais qu’en leur absence, toute tentative d’anticipation est vouée à l’échec. Ce constat malheureux semble faire consensus entre les intervenants et les participants au débat.