Carbone et agriculture

Agriculture, alimentation, climat : les enjeux du « carbone vivant »

Avec Christian de Perthuis

Professeur associé d’économie à l’université Paris-Dauphine,
fondateur de la chaire Économie du climat

Séance de MARS du 21 février 2023
Compte rendu de Joseph Racapé

Introduction

La lutte contre le changement climatique est devenue un thème d’actualité incontournable qui retient l’attention du grand public et en conséquence mobilise politiques, ONG et médias. L’agriculture et la PAC ne peuvent se soustraire à cette question qui devient de plus en plus prégnante. Il faut aussi intégrer le fait que l’UE, depuis la mise en place de la convention climat, a tenu une place majeure dans son élaboration. Elle vient de se doter de différents règlements et dispositifs qui vont dans le sens d’un renforcement de l’action, laquelle impactera la politique agricole.

En préalable à un repérage et à une évaluation prospective de ces impacts, Christian de Perthuis nous a présenté les données de base de la relation agriculture carbone ainsi que les mécanismes réglementaires à l’œuvre, en cours de mise en place ou de renforcement. Il a aussi abordé brièvement la transition énergétique et ses connexions avec l’agriculture.

Son diaporama est téléchargeable en cliquant ici.

Agriculture et carbone

Très brièvement, retenons qu’au niveau mondial, les émissions l’agriculture ne sont pas négligeables puisqu’elles représentent près de 25% du total. Les trois postes majeurs d’émissions qui interpellent la PAC sont constitués par la déforestation tropicale (à laquelle contribuent nos importations de soja et viandes bovines), les ruminants (méthane) et le protoxyde d’azote consécutif aux différents mode de fertilisation, organique pour deux tiers et minérale pour un tiers. Autre caractéristique spécifique de l’agriculture, sa capacité potentielle à constituer un puits de carbone par les arbres et les racines des plantes, et l’humus du sol si elle adopte les pratiques requises (non labours, couvert végétal, agroforesterie…).

Retenons maintenant que pour la France en 2021, le bilan d’émissions est le suivant (en million de tonnes équivalent CO2 ) :

  • animaux 39,5
  • fertilisation azotée 31,1
  • énergie, 10,6

L’absorption ou puits de carbone, par les forêts principalement, est de 13,8 millions de tonnes, ce qui donne un solde positif net d’émissions de 67,4 millions de tonnes.

Autre point spécifique à signaler concernant l’élevage : le pouvoir réchauffant du méthane serait sous évalué notamment par une rétroactivation des forêts tropicales qui génèreraient des émissions accrues en raison du réchauffement et une révision de sa durée de vie dans l’atmosphère. Le coefficient actuellement utilisé pourrait en conséquence être revu à la hausse.

Concernant la transition énergétique et ses synergies avec l’agriculture, l’intervenant a souligné le potentiel important de l’agrivoltaïsme en plein essor, notamment en lien avec les bâtiments d’élevage, du biogaz agricole et l’intérêt de ces productions énergétiques décentralisées ne nécessitant pas de stockage puisque la production est soit autoconsommée, soit réinjectée directement dans les réseaux. Par contre, il a fustigé la production de biocarburants inefficaces en termes de rendement énergétique et prédatrice de terres agricoles.

L’action réglementaire de l’UE et les mesures projetées

Dans le cadre du protocole de Kyoto, un marché volontaire de projets a été mis en place. Il a donné lieu à des réalisations limitées telles que des aides à l’innovation, au secteur de la déshydratation de luzerne, préséchage et remplacement des chaufferies à charbon ou encore la préservation de biotopes emblématiques par des industriels soucieux de leur image de marque. L’Oréal a été cité. Compte tenu du cadre facultatif de ces actions, elles n’ont guère été répliquées et leur impact carbone est resté limité.
Il en va autrement pour le système Européen d’échange de quotas de CO2 qui est obligatoire pour des secteurs économiques définis et est en train d’être réformé à la suite du rehaussement de l’objectif européen de réduction des émissions de 55% en 2030 relativement à 1990 (contre 40% antérieurement) :

  • inclusion de nouveaux secteurs économiques (transports terrestres et maritimes et bâtiment notamment) ;
  • suppression graduelle des allocations gratuites et introduction de droits à l’importation pour éviter le « dumping carbone » des pays tiers dans certains secteurs clefs (dont les engrais) ;
  • réduction du plafond des quotas qui a provoqué un renchérissement du prix du quota qui est d’environ 100$ la tonne actuellement.

Les émissions agricoles de méthane de de protoxyde d’azote ne sont pas directement concernées par cette réforme qui va en revanche modifier divers paramètres économiques sensibles : augmentation du prix des engrais et des protéines importées notamment.

Ensuite, une proposition de règlement de la Commission européenne intitulée « carbon farming » prévoit une rémunération des agriculteurs pour la séquestration de carbone et la réduction des émissions. Elle a été déposée le 30/11/2022. Elle est très ambitieuse : 310 MT de CO2 pour l’UE en 2030, à comparer aux 13,8 actuels en France. L’intervenant est resté assez dubitatif quant aux formes d’actions concrètes que cela pourrait prendre. Le potentiel de stockage des terres cultivées étant limité (2t/ha), il resterait la reforestation d’une partie de ces terres qui serait plus crédible pour atteindre un tel objectif. Il a aussi évoqué la difficulté des contrôles, la complexité des mesures, et la réversibilité possible du stockage (incendies de forêts par exemple).

Le débat

Questions et observations des participants

Des crédits carbone octroyés à la filière luzerne se sont révélés efficaces en promouvant de nouvelles technologies (préfanage, entre autres) qui a permis de maintenir la viabilité économique de cette filière.

En Nouvelle Zélande, un paiement forfaitaire d’environ 2,50€/ha est en projet pour le stockage de carbone des terres agricoles, mais il est en concurrence avec d’autres financements plus conséquents de reforestation. Ceux-ci ont donc la préférence d’agriculteurs, surtout en fin de carrière. Or la reforestation n’est pas une formule magique. Elle génère, par des effets environnementaux négatifs tels que l’acidification des sols, une perte de biodiversité dans le cas de plantation d’essences
uniformes et à croissance rapide (résineux, eucalyptus). Enfin, la garantie de maintien du stock est relative au regard des risques
d’incendies et de dépérissement des forêts en raison du réchauffement climatique.

La contraction de la production agricole d’un pays donné au profit d’une production carbone spécifique des terres agricoles doit être comparée à des importations de produits agricoles accrues, qui recèlent nécessairement du carbone importé. Pourquoi ne pas englober d’autres aménités environnementales dans les dispositifs carbone qui pourraient voir le jours tels que la protection des ressources naturelles (eau notamment), la biodiversité ou encore les paysages (replantation de haies) ?

Le dispositif quotas qui prévoit de n’aider que les stockages additionnels va primer les agriculteurs qui ont appauvri les sols en
carbone, par exemple par la monoculture de céréales. Ne devrait-on pas plutôt accorder des crédits carbone au stock existant (prairies, tourbières) plutôt qu’à un accroissement du stock sur les terres cultivées, lequel apparait d’ailleurs problématique (ramener des productions animales dans les zones de grande culture ?) et peu efficace en termes quantitatifs.

Il faudrait taxer l’azote minéral, très émetteur dans sa fabrication et mettre fin à la détaxation du fioul agricole. L’initiative de l’institut de l’élevage (CAP’2ER&CARBON AGRI) qui a mobilisé un échantillon significatif d’éleveurs sur un projet de
certification carbone a été évoquée pour son intérêt pédagogique et anticipateur de projets futurs éventuels.

Quels impacts de toutes ces mesures sur le prix des terres agricoles ?

Éléments de réponses de l’intervenant

Des aides carbone spécifiques octroyées aux terres agricoles n’apportent des recettes conséquentes que dans des cas particuliers où les agriculteurs se tournent vers l’agroforesterie qui permet de stocker des quantités importantes. Pour les prairies permanentes, des paiements à l’hectare pour maintenir le stock existant couplés avec les autres aménités environnementales pourraient effectivement être utilisés. Accorder des aides basées sur le seul carbone dans le champ de l’agriculture n’est sans doute pas la bonne solution en raison de la multiplicité des aménités environnementales existantes et de leurs interactions.

Le protoxyde d’azote consécutif aux fertilisations apparait difficile à réduire, surtout celui qui est lié à la gestion des effluents d’élevage. Mais comme la majorité des émissions de GES provient de l’élevage, il faudra sans doute réfléchir à la taille des élevages dans les systèmes agricoles de demain.

En raison de l’apparition de nouvelles technologies bas carbone dans le système énergétique, il faut s’attendre à une diminution plus rapide des émissions résultant de l’usage des énergies fossiles que de celles spécifiques à l’agriculture. Ne proposer aux agriculteurs que des taxations additionnelles n’apparait guère réaliste politiquement, surtout si on anticipe des reconversions de
grande ampleur de l’agriculture pour faire face changement climatique. Ces reconversions répondront à la double exigence de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d’accroître la résilience face aux impacts du réchauffement.

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