AVSF, une ONG au service des agricultures paysannes

L’ONG Agronomes et Vétérinaires sans Frontières (AVSF)

Avec Barbara Dufour

Présidente d’AVSF, membre de l’Académie d’agriculture de France

Séance du 15 janvier 2024
Synthèse par Michel Rieu

La présentation de Barbara Dufour

La séance a été introduite par un diaporama qui peut être téléchargé en cliquant ici.

Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières (AVSF) se définit comme une « ONG professionnelle et militante au service des agricultures paysannes ». Prenant ses racines dès les années 80, AVSF est créée en 2004 par la fusion de deux organisations, le CICDA et VSF. Son ambition est de défendre les droits des populations paysannes et d’éleveurs, les soutenir à être des actrices autonomes du devenir et du développement économique et social de leurs territoires et consolider des modes de production agricole et d’élevage performants et agroécologiques.

Barbara Dufour a d’abord dressé un rapide tableau de l’agriculture et de ses enjeux comme elle est vue par AVSF. Contrairement aux idées reçues, les agricultures paysannes nourrissent une grande majorité de la population mondiale. 40 % de l’emploi humain à l’échelle de la planète est dans le secteur agricole, dont ¼ au titre d’activités familiales. La répartition de cette activité est très variable, de 1,5 % dans l’UE à 80 % en Afrique sub-saharienne. Sur cette population agricole, il faut compter environ 600 millions d’éleveurs.

Les agricultures paysannes sont aussi des activités essentielles pour les communautés rurales. Pourtant, elles sont exposées à bien des difficultés, naturelles sans doute, mais aussi institutionnelles et politiques. Elles sont durement touchées par les déséquilibres économiques produits par les agricultures productivistes et industrialisées. AVSF veut soutenir les agricultures paysannes pour relever les défis du XXIème siècle.

AVSF réunit des compétences complémentaires, en matière d’agriculture, d’élevage et de santé animale, indispensables pour impulser les transitions agroécologiques. Ses champs de compétence sont :

  • La transition agroécologique
  • La santé animale et l’élevage
  • Les filières durables et équitables
  • La prévention des crises et l’action de post-urgence

Ses métiers principaux :

  • L’ingénierie de coopération
  • Le plaidoyer au Nord et au Sud en faveur des agricultures paysannes
  • L’expertise au travers de missions courtes ou longues

AVSF identifie quatre conditions essentielles pour des agricultures paysannes à haut potentiel

  • Un accès à la terre et à l’eau garanti et une gestion plus démocratique et plus efficiente
  • Une production diversifiée et agroécologique (autonomie, résilience, productivité et durabilité)
  • Des marchés transparents et justes et une production et consommation relocalisées dans les territoires 
  • Des organisations paysannes professionnelles fortes et reconnues

Barbara Dufour a particulièrement insisté sur les modes d’action d’AVSF en montrant des exemples diversifiés de projets dans différentes régions du monde. Le fonctionnement s’appuie largement sur des partenaires locaux avec de nombreux partenariats avec d’autres ONG. Le financement (22 millions) est largement public, via des réponses à des appels à projets (en France, par l’AFD), avec une partie d’autofinancement (20%) nécessaire pour accéder aux programmes publics. Les projets en zone sahélienne ne sont plus soutenus par l’État français pour cause « d’insécurité politique ».

Les projets présentés sont en lien avec l’élevage qui est la spécialité de Barbara Dufour, vétérinaire et épidémiologiste, spécialiste des maladies infectieuses.

  • Les agents communautaires de santé animale (ACSA) : des éleveurs issus de leur communauté, formés, en lien avec un vétérinaire, pour améliorer la santé animale et gérer les médicaments. VSF International a un accord avec l’OMSA (Organisation mondiale de la santé animale)
  • Service de sante mixte humaine et animale, mobile et de proximité, en zone pastorale au Nord Mali avec des caravanes mobiles pour soigner hommes et animaux
  • Appui à l’aviculture paysanne au Sud Cambodge : des poulaillers familiaux améliorés (abris, alimentation raisonnée…)
  • Appui à l’élevage durable dans le sud de l’Éthiopie (4 000 familles)
  • Lutte contre la désertification dans le Ferlo au Sénégal
  • Haïti : des mini-laiteries pour soutenir la production locale, reconquérir le marché et alimenter les écoliers des zones rurales

La plupart des actions sont multifactorielles et beaucoup s’intègrent dans le champ du « One health ». Barbara Dufour plaide pour une action utile, partant du terrain, avec des acteurs qui expriment leurs attentes.

Pour en savoir plus sur l’ONG AVSF https://www.avsf.org/

La discussion

Sur l’importance de l’agriculture paysanne et de la population concernée

Cette image est souvent déformée, laissant penser que tous les humains vivent dans des villes. Sur la façon de travailler, pour préciser, 70% des personnes exploitant la terre le font de manière traditionnelle, non mécanisée.

La sécurité pour les intervenants des ONG dans des contextes politiques violents

Il est rappelé l’assassinat, en décembre 1988, de deux agronomes du CICDA, Corinne Seguin et Thomas Pélissier, et de trois Péruviens, par un commando du Sentier Lumineux. Le CICDA (Centre international de coopération pour le développement agricole) est une des deux associations, avec VSF, dont la fusion a donné naissance à AVSF.

AVSF a connu le même traumatisme avec l’assassinat de son responsable national au Guatemala. Le meurtrier vient d’être jugé, mais on ne connaît pas les commanditaires. En 2023, AVSF a aussi été victime une prise d’otage à Haïti. Il faut travailler sur la sécurité, mais AVSF ne peut pas travailler que dans des zones tranquilles. Elle ne remplirait pas sa mission car c’est dans les zones le splus « chaudes » que les gens sont le plus en difficulté.

Sur l’émigration : créer de l’emploi pour lutter contre. Mais les migrants ne sont pas des ruraux. Ce sont souvent les mieux formés et rarement de petits paysans.

En fait, dans les pays mêmes, il y a une forte migration des zones rurales vers les zones urbaines, ce qui y crée une forte pression démographique. Ce sont surtout ces migrations auxquelles nous pensons, avant l’émigration vers d’autres pays.

Dans ces actions de développement, comment travailler pour une communauté et pas juste pour quelques individus ou notables ? C’est souvent difficile à réussir. Qu’en est-il à AVSF ?

Nos actions de développement créent des paysans à deux vitesses, par exemple les ACSA. Ils sont choisis par leur communauté, mais doivent avoir un certain niveau de formation, type brevet des collèges. Au départ, ils sont très pauvres et vivent comme les autres membres de leur communauté. Dix ans plus tard, ils sont montés d’un cran. Le vélo qu’on leur a donné, est devenu une mobylette et ils ont une maison en dur. Leur condition s’est élevée et ils ont acquis une notoriété. Mais ils apportent un service aux autres. Autre exemple, les poulaillers améliorés que nous avons accompagnés au Cambodge, ils ont été copiés par les parents, les voisins. Donc l’appui a bénéficié plus largement que les seuls bénéficiaires.

La question sanitaire est parfois utilisée pour décourager l’élevage familial en pays développés en accordant des vertus à l’élevage plus concentré. L’élevage familial des pays du Sud est-il exposé aux mêmes risques ?

Au Cambodge, début 2023, ils avaient perdu 50% de leurs porcs à cause de la Peste Porcine Africaine. Dans la moitié des petits élevages, les cases étaient vides. Les grandes maladies infectieuses, comme les pestes, sont très handicapantes. Quand on peut vacciner, comme Newcastle, les ACSA le font. Pour la PPA, il n’y a pas de vaccin et il faut des pratiques strictes de biosécurité. Les autres maladies contagieuses ont moins d’impact que le parasitisme, par exemple. Elles ne sont pas un gros enjeu comme dans les pays développés où elles empêchent d’exporter.

Est-ce qu’AVSF ne travaille que pour l’élevage ? Quelles vos relations avec des ONG plus tournées vers l’agronomie ?

AVSF travaille aussi pour les productions végétales : le riz bio au Cambodge, le cacao en Amérique centrale… Plus de la moitié de nos interventions sont en productions végétales, comme la diminution des pesticides. Nous intervenons sur l’élevage comme une partie de l’activité agricole. Nous avons des projets strictement élevage, comme en Mongolie, ou strictement végétal, comme Ethicajou, entreprise solidaire au Sénégal. Mais souvent agriculture et élevage sont liés.

Nous collaborons avec d’autres ONG au sein du Groupe Initiatives (15 ONG dont certaines actives en agriculture). Avec les autres ONG, nous avons 2 attitudes 1. Non concurrence, 2. Monter un consortium. La plupart de nos actions sont en collaboration avec des ONG plus compétentes. Par exemple sur la sécurité avec le GRET.

Quelles sont les relations des ONG comme la vôtre, ou avec des financeurs comme l’AFD ?

Nous sommes majoritairement financés par l’AFD, mais nous avons besoin de fonds propres, condition pour concourir aux appels d’offres. Pour les gros projets, nous répondons à plusieurs, par exemple de l’UE. Les plus petits projets sont souvent portés par des fondations. Et nos partenaires sont beaucoup les ONG du Sud, financées dans leurs pays ou les pays proche, pour des projets plus petits. Stratégiquement, nous voulons délocaliser davantage l’aide, gérer au niveau du pays concerné, sans passer par le siège en France.

La France est assez favorable à l’aide au développement. On voit bien que les gouvernements d’extrême droite coupent sévèrement dans l’aide au développement. Nous travaillons bien avec l’AFD, mais ils deviennent de plus en plus pointilleux. Ils ont arrêté de financer les projets au Sahel pour ne pas financer le terrorisme. Ils demandaient une traçabilité de tous les bénéficiaires de l’aide. C’est matériellement impossible et nous nous y refusons par principe. Nos procédures montrent comment l’argent est utilisé, par exemple un vélo pour un ACSA. Ça devient compliqué. Nous comprenons la finalité, ne pas financer le djihadisme, mais les mesures ne sont pas toujours pertinentes. Et, sur le plan administratif, l’Union européenne, c’est pire. Nous avons des équipes administratives pour gérer ça dans les pays du Sud.

On travaille aussi avec d’autres ONG européennes, par exemple au sein de VSF-International qui compte 17 VSF nationaux : programmes communs, plaidoyers communs, réponse en commun à des AdO. Nous sommes en Iraq à la demande d’une ONG iraquienne via le ministère français des affaires étrangères, en missions courtes, pour un projet géré par l’ONG iraquienne.

Allez-vous à la pêche aux grands donateurs ?

Oui, nous sommes très intéressés par les dons de plusieurs dizaines à centaines de milliers d’euros. Aussi par les donateurs moyens, avec un prélèvement automatique, par exemple de 25 à 20 euros par mois. Nous avons aussi essayé l’arrondi solidaire avec les vétérinaires. Nous avons professionnalisé la collecte de dons en recrutant une personne qui en est chargée.

Relations avec les écoles et les associations étudiantes, la recherche ?

Nous avons des correspondants dans les écoles agronomiques et vétérinaires. Ils concourent au plaidoyer (soirée, interventions dans les écoles primaires…).

Nous avons une convention avec le Cirad pour faire de la recherche-développement.

Les enjeux majeurs au Sud pour l’agriculture et l’aide au développement ?

Ça dépend des territoires. Pour AVSF, l’enjeu majeur c’est la délocalisation, que les pays destinataires se prennent davantage en main. L’objectif, se retirer au profit d’ONG locales avec lesquelles on conserve des liens très forts.

La prise en main de l’agriculture paysanne par des organisations locales est très variable d’un pays à l’autre. Elle est forte en Asie, beaucoup moins en Afrique, absente à Madagascar. La Mongolie est intermédiaire. Des initiatives très locales marchent, mais ont du mal à s’étendre, comme en Zambie sur l’activité aux bordures des parcs naturels.

Comment le développement de l’agriculture paysanne peut-il améliorer le taux d’autosuffisance alimentaire de certains pays ? Quel est votre avis sur les échanges internationaux souvent présentés comme un frein à cette amélioration ?

Beaucoup de pays du Sud ne sont pas autosuffisants et doivent importer de l’alimentation. Malgré tout, la production locale satisfait une partie des besoins. Le problème c’est quand la production locale perd son caractère traditionnel à cause des importations de produits différents, pas produits sur place et auxquels les gens se sont habitués.

En Zambie, par exemple, les habitants ont pris l’habitude de manger du maïs qui n’est pas produit sur place, dont la culture demande beaucoup d’eau. L’Asie est beaucoup plus autosuffisante avec des échanges entre pays.

Êtes-vous en concurrence avec des projets, des modèles de développement en contradiction avec ceux que vous soutenez (industriels, exportateurs…) ?

Ça dépend des pays. On agit toujours en concertation avec les institutions du pays. Nous ne sommes pas sur le même territoire que les fondations qui financent des projets avec OGM, etc. Nous intervenons auprès des plus pauvres. La question de l’export se pose peu. Par contre, celle du foncier se pose. Notre salarié au Guatemala a été assassiné parce que nous défendions les paysans sans terre. Selon les pays, sur le terrain, nous sommes plus ou moins tolérés. Nous nous efforçons toujours d’avoir des relais locaux. Il nous arrive d’être « virés » par les gouvernements. Mais il n’y a pas véritablement de concurrence sur nos terrains de développement. Sauf pour le foncier où les paysans que nous soutenons peuvent être « virés » pour faire autre chose.

A nord Mali, on peut croiser des djihadistes…

Pour faire essaimer, on s’appuie sur l’organisation locale, comme des GDS en Mongolie, des coopératives. Ou alors, comme pour les ACSA au Cambodge, nous en avons formé 1 000, et le gouvernement a décidé d’en former lui-même.

Nous ne voulons pas plaquer des modèles voyageurs. Un modèle qui marche dans une zone, on ne veut pas le transposer dans une autre zone. Il faut l’adapter ou il faut un autre modèle. Les modèles voyageurs, ça a été un des « grands trucs » de l’aide au développement au cours des 2-30 dernières années. Et il ne faut pas créer de nouvelles dépendances, par exemple aux intrants (aliments pour animaux, engrais…) et surtout pas de dépendances financières. Il y a débat sur la petite mécanisation, mais jusqu’où ?

La Chine ne fait pas de développement. Elle vient produire pour son approvisionnement ou vendre (médicaments, matériel…).

Financement par la Fondation Bill Gates ?

Pour le moment, nous refusons les financements Bill Gates.

Vous parlez de « juste prix ». Qu’entendez-vous par là ?

On produit du riz bio au Cambodge, une partie est vendue et nous les aidons à organiser la filière de commercialisation jusqu’à chez Ethiquable. Du chocolat est vendu avec le logo AVSF. Les producteurs sont rémunérés au juste prix, au prix du commerce équitable., à travers des coopératives, l’organisation d’une filière, parfois jusqu’à l’étranger.

Que signifie le terme « amélioration » quand vous l’utilisez ?

Nous recherchons des améliorations des productions, génétique par exemple avec des ressources locales, une forme d’intensification, mais hyper raisonnée par rapport aux besoins, un progrès gradué de l’efficacité, mais toujours en contrôlant les dépendances. Nous ne rejetons pas certaines formes d’amélioration, exemple du poulet bicyclette avec 30 poules, au poulailler amélioré à 80-90 avec contrôle des éclosions, etc. loin du modèle industriel. Une agriculture familiale et paysanne qui progresse.

Avez-vous des projets d’infrastructures, par exemple pour lutter contre les pertes ?

On n’a pas de projets directement ciblés là-dessus. Mais on l’intègre dans la problématique de certains projets. On a remis en place des greniers sur pilotis pour protéger les récoltes des « nuisibles ». Dans le même esprit, on installe des cuves pour recueillir les déchets des médicaments des ACSA en vue de les recycler.

La méthanisation ?

On met en place des petits fermenteurs qui utilisent les déjections pour produire le gaz qui sert à faire la cuisine et s’éclairer. Évite la consommation de bois qui est un problème.

Pour conclure, dans un moment où il y a peu de motifs de réjouissance et d’espoir dans le monde, l’activité d’AVSF redonne un peu d’optimisme. Avec de bons principes, on peut agir dans le bon sens, même si ce sont des petits pas.

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