L’agriculture à l’heure de l’anthropocène

Pour nourrir les humains et réparer la planète,
il faut s’engager dans une agriculture « régénératrice »

Avec Bertrand Valiorgue

Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises, Université Clermont Auvergne

Séance du 15 septembre 2021

Pour cette séance de rentrée de septembre 2021, Bertrand Valiorgue était invité à présenter l’analyse et les propositions qu’il fait dans son ouvrage paru il y a un an (1) ainsi que les échos et réactions qu’elles ont pu produire dans les différentes instances ou il les a présentées.

L’agriculture est à la fois contributrice et victime des dérèglements de notre système terre (climat, eau, sol, biodiversité…) que l’on commence à percevoir avec des effets dramatiques immédiats et qui peuvent à plus long terme mettre en cause l’humanité entière et la survie de notre espèce. L’agriculture doit pouvoir continuer à la fois à nourrir les humains (et les vêtir et les soigner), c’est sa fonction depuis toujours, sans accentuer ces dérèglements. Mais elle peut aussi, moyennant des changements radicaux, passer à une activité qui protège et « répare » notre système terre.

C’est à la fois le diagnostic et les propositions développés par Bertrand Valiorgue. L’idée sous tendue dans cet ouvrage n’est pas de se préparer à « l’effondrement » redouté comme peuvent le faire certains capitaines de GAFA ou autres investisseurs dans la production de « nourriture cellulaire », mais de s’engager sans tarder dans un scénario plus enthousiasmant « d’Agriculture Régénératrice ».

Bertrand Valiorgue résumera pour nous son diagnostic de la situation et la façon dont nous en sommes arrivés là. Ceci est fort bien documenté et présenté dans son ouvrage qui articule de façon convaincante les diverses analyses sectorielles les plus récentes. La poursuite de la logique actuelle, née dans une révolution verte qui n’a pas su se reformer à temps, risque de nous faire basculer dans ce qu’il appelle une « Trappe Antrhropcénique » dont il sera difficile de sortir car les solutions dans sa continuité ne font souvent qu’aggraver les problèmes.

Il nous rappellera, et c’est la partie la plus novatrice à débattre, les solutions et axes de transformation qu’il a identifiés au travers de ses analyses et réflexions propres, qui s’appuient sur les travaux issus de l’économie néo-institutionnelle et de la théorie des communs. Mais cela nécessite des changements profonds et radicaux en termes de « façons de faire », donc des choix politiques et des politiques publiques qui accompagnent ces changements. Car si tout doit partir des « cours de fermes » pour bâtir un nouveau contrat social sur notre bien commun qu’est l’agriculture et qui concerne tout le monde, cela ne peut dépendre des seuls agriculteurs et engage, outre les exploitations, les territoires et les filières, et la politique agricole commune.

Depuis sa parution voilà plus d’un an, l’ouvrage a été présenté par son auteur devant des publics divers, y compris de décideurs. Certaines propositions ont été approfondies et enrichies dans le cadre d’un séminaire qui s’est déroulé ce printemps. Bertrand Valiorgue synthétisera ces réactions et propositions complémentaires. Il nous dira comment sont perçus ce diagnostic et surtout ses propositions. Faut-il y voir, selon les publics, des encouragements déterminés au changement ou, au contraire, des réticences assez fortes pour continuer à l’empêcher ?

(1) Refonder l’Agriculture à l’heure de l’Anthropocène. éditions Le bord de l’Eau

Télécharger la présentation

Cliquer ici pour télécharger la présentation

Télécharger la synthèse

Cliquer ici pour télécharger la synthèse

One thought on “L’agriculture à l’heure de l’anthropocène

  • 26 septembre 2021 à 17h20
    Permalink

    Le patrimoine privé, l’angle mort de la politique agricole
    Les contradictions entre les communs et l’appropriation privée

    Le livre de Bertrand Valiorgue aborde la politique agricole par des chemins inhabituels et permet de replacer la discussion en partant de l’intérêt général. Il est d’utilité publique que l’on préserve les ressources de la planète pour que nos enfants puissent utiliser ce potentiel.
    Cela passe par le changement de statut de certains biens et en particulier par le fait que les propriétaires de la terre ne puissent pas détériorer ce bien « commun » au prétexte que le droit de propriété comportait dans le droit romain hérité du passé trois éléments fondamentaux : « usus, fructus et abusus ». Le troisième terme serait désormais sous contrôle sociétal. Les agriculteurs seraient un peu dans la même situation qu’un détenteur de monument historique. Il n’a pas le droit de le détruire et en particulier de diminuer la valeur agronomique des sols, de maltraiter ses animaux ou d’utiliser des produits dangereux pour la santé des consommateurs.

    Cet objectif est louable car cela place la politique agricole au cœur des débats de société. Le livre ne se prononce pas sur les changements à opérer sur les mesures concrètes de politique agricole. Il est évident cependant que cela remet en cause en particulier la politique des aides. Le livre insiste sur la nécessité de modifier les outils d’observation et en particulier la comptabilité des exploitations pour pouvoir mesurer l’impact sur l’environnement. Ce pourrait être aussi l’occasion de se donner enfin les moyens d’éclairer un angle mort de la politique agricole, le patrimoine privé des agriculteurs.

    La politique imaginée par le CNJA de Michel Debatisse reposait en effet sur une vaste ambiguïté sur le patrimoine. Grosso modo, il y avait un volet structures d’exploitations, un volet modernisation et un volet régulation des marchés pour permettre des prix suffisants aux exploitations modernisées.

    Dans le premier volet « Structures », l’État donnait des indemnités viagères de départ (IVD) pour inciter les plus âgés à quitter l’agriculture pour permettre aux plus jeunes de s’installer ou de s’agrandir. Cette politique s’est poursuivie ensuite avec des préretraites, toujours sur argent public pour accélérer le mouvement de concentration de l’appareil de production.

    Dans le deuxième volet « Modernisation », les agriculteurs ont bénéficié de prêts bonifiés et d’aides aux investissements pour permettre à ceux qui pouvaient rester dans le secteur de devenir compétitifs. Cette politique a été poursuivie ensuite par des mesures fiscales très avantageuses en particulier pour les achats de matériel. Le comble a été atteint par une mesure qui avait été instituée par Macron quand il était à Bercy, la possibilité d’amortir 140 % de l’investissement. Les plus-values dégagées sur la revente du matériel ne rentraient pas dans le revenu taxable. Dans les comptes du RICA, ces plus-values sont estimées en 2019 à 4 800 € par exploitation ! C’est loin d’être négligeable puisque cela correspond à un supplément de revenu net d’impôt de 400 € par mois en moyenne. Cette somme est nettement supérieure pour les exploitations qui pratiquent régulièrement cette forme d’optimisation fiscale.

    Le troisième volet de cette politique était la politique de régulation des marchés qui a été progressivement désactivée dans la période récente. Le désengagement a été accentué en France par une application très particulière du droit de la concurrence au profit des centrales d’achat de la grande distribution.

    Le livre de B. Valiorgue insiste à juste titre sur l’échec d’une course à la modernisation qui se traduit par une course sans fin vers les prix les plus bas sans égard sur la préservation du capital que constitue la terre, l’eau, l’air et la biodiversité. Par contre, il n’aborde pas les conséquences de ce choix sur le patrimoine public et privé. On peut comprendre qu’il faille des aides de l’État pour faciliter la restructuration et permettre ainsi à la génération suivante de vivre mieux. Il est plus difficile de comprendre qu’il faille recommencer à chaque génération un transfert de biens publics vers le patrimoine privé des agriculteurs en place. Et cela sans s’interroger sur le fait que cela rend de plus en plus difficile l’installation des jeunes agriculteurs. On peut aussi observer qu’une partie importante de la capitalisation de ces aides vient enrichir les cohéritiers qui ne restent pas dans le secteur agricole.

    Par ailleurs, les aides au revenu qui ont été accordées depuis la réforme de la PAC de 1992 ont pris la forme d’aides à l’hectare. Elles ont été détournées progressivement vers le marché foncier et ont contribué aussi au retournement de la valeur du foncier agricole. Le prix des terres agricoles avait fortement baissé en valeur constante entre la fin des années 70 et 1992. Ce prix a augmenté en monnaie constante depuis les années 90.

    La plupart des études faites sur les résultats des exploitations ne portent pas sur le capital détenu. D’après les résultats du RICA de 2019 portant sur 300 000 exploitations, les capitaux propres, c’est-à-dire ceux qui appartiennent aux exploitants sont de 268 000 € en moyenne. Par ailleurs l’enquête INSEE sur le patrimoine des ménages montre que ce sont désormais les ménages dont la personne de référence est agriculteur qui ont le patrimoine moyen le plus important en France avec 775 000 € en moyenne. La moitié d’entre eux a un patrimoine supérieur à 437 000 €. Le chiffre est inférieur pour les ménages de retraités dont la personne de référence est ancien agriculteur mais avec 318 000 € par ménage, ils ont un patrimoine plus important que la moyenne des ménages français (240 000 €).

    Tous ces chiffres montrent que faire l’impasse sur le patrimoine des agriculteurs permet les déclarations les plus misérabilistes sur leur situation et surtout de conclure à l’impossibilité de toucher au régime actuel des aides. Le point de vue apporté par ce livre pourrait donner l’occasion de faire des comptes de bilan en analysant les changements intervenus aussi bien dans le capital public du pays ou des collectivités concernées que dans le capital privé des chefs d’exploitations. On fait comme si les agriculteurs étaient essentiellement des salariés qui n’auraient pas de capital. Ceci étant, maintenant que le capital privé des agriculteurs en place est très important, toute réflexion sur la transition indispensable vers une économie des « communs » risque d’être considérée par eux comme une spoliation.

    PS Les travaux les plus intéressants sur le patrimoine des agriculteurs ont été faits par une étude par Philippe Jeanneaux, Professeur à VetAgro Sup Clermont-Ferrand et Nathalie Velay, CerFrance Alliance Massif central.

    Réponse

Répondre à Lucien Bourgeois Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *